Une jolie chanson en guise de chant du cygne ? Il est 19 heures dimanche à Rennes et Christiane Taubira est sur scène depuis une grosse heure. Au fil de sa longue prise de parole, l’ancienne garde des Sceaux a déjà cité les écrivains Laurent Gaudé, Aimé Césaire ou Edouard Glissant. Mais pour clôturer son discours, la Guyanaise choisit la chanson. Devant près de 500 personnes, la gagnante de la primaire populaire se met à fredonner a cappella «Etre né quelque part - Etre né quelque part, pour celui qui est né - C’est toujours un hasard». Le public, conquis, reprend Maxime Le Forestier avec elle.
À Créteil, @ChTaubira avait chanté « ma France » de Jean Ferrat, aujourd’hui à Rennes la candidate fredonne avec le public « Né quelque part » de Maxime Le Forestier. @libe pic.twitter.com/wjMG0QuL2C
— Sacha Nelken (@SachaNelken) February 27, 2022
En cette fin de week-end, Christiane Taubira est en Bretagne pour ce qui pourrait être sa dernière réunion publique de campagne. Dans moins d’une semaine, vendredi 4 mars à 18 heures, l’ancienne ministre devra avoir récolté 500 parrainages d’élus pour pouvoir concourir à la présidentielle. Problème, selon le dernier décompte du Conseil constitutionnel, elle n’en a que 128. C’est donc peu dire que les chances de voir l’ancienne députée de Guyane sur la ligne de départ sont quasi nulles. Pour autant, il n’est, pour le moment, pas question d’abandonner. «Je reste combative, je le dois aux initiatives citoyennes [la primaire populaire et le mouvement «Taubira 2022», ndlr] qui portent ma candidature», assure l’intéressée à chaque fois que la question d’un potentiel retrait lui est posée. «Annuler aujourd’hui n’a jamais été une possibilité», souffle Christian Paul, proche parmi les proches de la candidate.
Reformer la gouvernance mondiale
Ces derniers jours, l’actualité internationale et la guerre en Ukraine ont poussé certains candidats à bousculer leur campagne. C’est ainsi que le candidat communiste Fabien Roussel et la socialiste Anne Hidalgo ont transformé leurs meetings à Avion dans le Nord ou à Bordeaux en des évènements quasi exclusivement consacrés à la crise ukrainienne. Taubira n’est pas allée jusque-là mais la candidate axe logiquement le début de son discours sur le sujet. «A deux heures de chez nous, les sirènes hurlent, les bombes tonnent, les hélicoptères vrombissent, les missiles sifflent, des femmes, des hommes, des enfants meurent en 2022», lance-t-elle. L’ancienne garde des Sceaux en appelle alors à réformer la gouvernance mondiale. «Dans quelle communauté internationale sommes-nous lorsqu’un pays, qui contrevient à la résolution de la charte même de cette communauté internationale, peut par un droit de vote s’opposer à toute initiative de cette communauté internationale ?» s’énerve-t-elle. L’occasion aussi d’en appeler à la solidarité : «Nous disons aux Ukrainiens qui voient vraiment les bombes tomber du ciel et les avions qui survolent leurs villes : “Bienvenue chez nous”.»
Le chapitre ukrainien fermé, l’ancienne députée de Guyane se lance alors dans un long discours, très général. Plus général que ceux qu’elle a prononcés jusqu’ici. Taubira insiste tantôt sur l’importance des Outre-Mer, tantôt sur le problème des services publics en France ou encore sur la jeunesse et la nécessité de contribuer à son émancipation mais sans jamais développer de mesures précises. Excepté quand elle aborde rapidement la mise en place d’une cour d’équité territoriale, un capital d’aides au projet pouvant aller jusqu’à 20 000 euros pour les jeunes ou le revenu d’émancipation de 800 euros par mois qu’elle créerait pour les étudiants. «Nous avons fait des choix prioritaires parce que la politique, ce n’est pas un catalogue de mesures», déclare-t-elle comme si elle déminait la critique. «Christiane Taubira n’est pas là pour égrener des mesures, assume Charlotte Marchandise, ancienne candidate à la primaire populaire aujourd’hui dans l’équipe de l’ancienne garde des Sceaux. Ce qu’il faut faire et ce qu’elle fait, c’est un grand discours sur les valeurs car c’est ça qui mobilise et donne envie de politique.»
«Une très bonne conférence»
Car l’enjeu dorénavant semble être là : motiver la jeunesse qui s’est mobilisée pour la Guyanaise à poursuivre son engagement malgré le retrait plus que probable à venir de leur candidate. «D’une façon ou d’une autre, nous allons peser», proclame Taubira tout en reconnaissant que son manque de parrainages est un «problème». «Mais on n’a pas dit qu’on n’allait pas le résoudre», ajoute-t-elle provoquant alors une réaction immédiate de la foule qui crie «On va le faire». Il n’empêche qu’à la sortie, beaucoup de jeunes pourtant emballés par Christiane Taubira ne se font guère d’illusions. «C’était très philosophique et il n’y avait pas vraiment de mesures concrètes, j’ai plus l’impression d’avoir assisté à une très bonne conférence plutôt qu’à un meeting présidentiel», estime Marine 26 ans. «Oui c’est ça, ça faisait vraiment conférence», acquiesce son amie Anaëlle. «Quoi qu’il arrive, on sait qu’on aura formé des jeunes à la politique pour l’après», veut croire une membre de l’équipe de campagne.