Ce n’était pas gagné d’avance, ni une victoire d’ailleurs, mais sans doute le dispositif de sécurité a-t-il fini par décourager l’ultradroite. Ce samedi à Saint-Brévin (Loire-Atlantique), le colloque «Accueillir les exilé-ées : Pourquoi ? Comment ?» s’est finalement déroulé sans heurts. «Un moment de réflexion dans un contexte apaisé», comme le souhaitait à l’ouverture un de ses organisateurs, Philippe Croze du collectif des Brévinois attentifs et solidaires (CBAS). Il faut dire : le dispositif de sécurité mis en place aux abords de l’évènement était impressionnant ce samedi matin. Entre le bowling et le Buffalo grill, non loin de la salle «Etoile de Jade» sur la zone commerciale de la Guerche, le secteur était bouclé. Plusieurs barrages de gendarmerie filtraient les véhicules, fouillaient certains d’entre eux et vérifiaient les identités. Sur décision préfectorale, le cinéma et la piscine voisine étaient fermés au public, leur parking transformé en aire de stationnement pour la gendarmerie, tandis que deux drones étaient autorisés à survoler la zone.
Six militants d’ultradroite placés en garde à vue
Manifestations, menaces, insultes, ces derniers mois, la ville balnéaire de 14 800 habitants a vu déferler une vague de haines et de violences, due à l’ultradroite. Depuis 2016 et l’expulsion de la jungle de Calais, Saint-Brévin héberge un Cada, un centre d’accueil pour demandeur d’asile. La décision est nationale et c’est le transfert de ce bâtiment et son agrandissement qui ont mis le feu aux poudres et focalisé l’extrême-droite. Quelques jours avant le colloque, certains opposants au Cada dénonçaient une provocation. Sur les réseaux sociaux, ils ont fait monter la pression et promis une riposte. Le jour précédent, la venue de près de deux cents manifestants d’ultradroite était annoncée dans les médias locaux. Finalement, ce sont soixante membres de la mouvance qui ont été repérés en marge de la réunion, débouchant sur le placement en garde à vue de six d’entre eux, «pour port d’arme par destination et participation à un attroupement en vue d’une manifestation non déclarée».
Dans ce contexte particulier, entourée de ses deux agents de sécurité, la maire Dorothée Pacaud a ouvert la journée. Si l’élue a d’abord regretté «le manque de sérénité» sur le sujet, elle a rappelé le besoin d’un débat «éclairé» sur les migrations. Réaffirmant son soutien aux associations présentes, elle a aussi tenu à souligner que «le mot fraternité inscrit sur nos mairies n’est pas un vain mot.» Au total, depuis sa prise de fonction en juin, l’élue a déjà déposé quatre plaintes après des insultes de l’extrême droite. En mai dernier, son prédécesseur, Yannick Morez démissionnait, lui-même visé par des menaces et après l’incendie partiel de son domicile. A sa suite, les spécialistes se sont succédé au micro.
Le sociologue François Héran et la politologue Catherine de Wendel ont ainsi dressé l’historique des migrations, ses causes structurelles, et évoqué la guerre des chiffres et l’instrumentalisation menée par l’extrême droite. La chercheuse a notamment insisté sur le fait que «la plupart des gens ne migrent pas», et fait valoir qu’ «un passeport européen ouvre 185 pays sans visa», à l’opposé de «ceux qui ne permettent d’aller nulle part, ceux des pauvres et des mal gouvernés, Afghans ou Erythréens». Dans la salle, parmi les quatre cents participants, Marie-Pierre, bénévole à Solidarité migrants dans la métropole nantaise, est venue «s’informer» mais surtout «marquer son soutien aux associations de Saint-Brévin», «ne pas se laisser tétaniser par l’extrême droite», souffle une voisine. Dans les rangs, on regrette néanmoins l’entre-soi. «C’est sûr, on prêche à des convaincus, soupire une dame entre deux conférences, mais vu le contexte sécuritaire, comment faire autrement ?»
«L’ambiance est devenue malsaine»
A quelques kilomètres de là, quartier de la pierre attelée, où doit s’installer le nouveau Cada, le soleil brille et les véhicules de gendarmerie rodent. Dans cette zone résidentielle avec ses maisons cossues de bord de mer, les rares riverains croisés par hasard refusent de parler de «l’actualité». «Ce n’est pas le moment», rétorque l’un d’entre eux avant de presser le pas, tête baissée, pour s’en aller. Un autre dit ne pas être au courant et prend aussi la tangente. C’est ici qu’une poignée de personnes se sont opposés au transfert, un noyau dur vite rejoint par une ultradroite venue d’ailleurs.
Plus loin dans le centre-ville, les camionnettes bleu gendarme sont postées devant le Cada ou la mairie et les passants sont plus bavards. Les derniers vacanciers profitent du beau temps ou attendent leur cours de char à voile. Quelques rumeurs ont bien tourné, avec la présence policière. «Il paraît que le Leclerc est fermé ?», s’inquiète Pascal qui a entendu cela au café. «C’est vrai que l’ambiance est devenue malsaine», finit-il par lâcher, avant d’accuser étrangement les zadistes de Notre-dame-des-Landes, boucs émissaires tout trouvés de la droite dans la région. A deux pas, Monique elle, est plus informée. Elle espère que la situation se tassera bientôt. «C’est regrettable d’en arriver là. Les gens sont contre le Cada alors qu’il est déjà installé depuis des années et que tout se passe bien.» Elle hausse les épaules, soudain un peu triste. «Voyez, ce nombre de camions de gendarmerie pour un simple colloque, ce n’est pas normal.»
Mise à jour à 21 heures avec notre reportage à Saint-Brévin