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Déni

A son procès en appel, Fillon regrette l’affaire mais continue de nier les faits

Au deuxième jour de son procès en appel, l’ancien Premier ministre a maintenu que son épouse Penelope Fillon avait «travaillé à [ses] côtés», fustigeant une «enquête à charge» et exprimant des «regrets» mais à propos de l’impact de l’affaire sur la campagne et sur son épouse.
François Fillon au tribunal correctionnel de Paris, le 15 novembre. (Thomas Coex/AFP)
publié le 16 novembre 2021 à 19h47

C’était juste avant que la cour ne se penche sur le fond de l’affaire de soupçons d’emplois fictifs de Penelope Fillon comme assistante parlementaire entre 1998 et 2013 de François Fillon et de celui qui était alors son suppléant, Marc Joulaud. Affaire pour laquelle l’ancien Premier ministre a fait appel de sa condamnation en juin 2020 à cinq ans d’emprisonnement dont deux ferme, 375 000 euros d’amende et 10 ans d’inéligibilité, notamment pour détournement de fonds publics, et qui lui vaut d’être rejugé jusqu’au 30 novembre.

L’ex-député de la Sarthe, 67 ans, a tenu à faire une déclaration liminaire. Pendant plusieurs minutes, il est revenu sur sa relation professionnelle avec sa femme depuis ses débuts dans la vie politique. «Lorsque j’ai été élu à l’Assemblée nationale en 1981, plus de la moitié des députés employaient un conjoint ou un membre de leur famille comme collaborateur parlementaire», raconte François Fillon. Qui n’en démord pas : «Mon épouse m’a assisté dans le cadre de mon engagement politique. Elle a été rémunérée pour son travail comme des centaines d’autres conjoints l’ont été pour un travail strictement semblable. […] Mon épouse a travaillé à mes côtés, c’est incontestable,», martèle-t-il malgré le manque de preuves qui a motivé sa condamnation et celle de son épouse en première instance. Elu «huit fois» à l’Assemblée nationale, l’ex-Premier ministre l’assure : il n’a jamais été «un député fictif préoccupé essentiellement par l’argent. C’est ce qui [me] blesse le plus dans le procès qui m’est fait aujourd’hui», feignant de croire que les soupçons d’emploi fictifs visent la réalité de l’exercice de ses mandats, ce qui n’a jamais été le cas.

Voilà pour la mise au point. Pour le reste, l’ex candidat défait des Républicains à la présidentielle de 2017 maintient sa stratégie consistant à dénoncer l’acharnement médiatique dont il aurait été l’objet. Il déplore ainsi «40 ans d’engagement effacés par un article d’un journal satirique et une enquête à charge s’affranchissant de toutes les précautions nécessaires quand on touche à la démocratie».

«Regrets»

Mais mardi, François Fillon a aussi exprimé des «regrets». Non pas sur les faits pour lesquels il a été condamné en première instance. Mais pour «[son] pays qui a été privé en 2017 du débat démocratique auquel il avait droit», pour sa «famille politique sortie affaiblie» de cette affaire. Et «pour ses enfants, sa famille, qui ont souffert du procès instruit par les médias», alors que le couple est aussi poursuivi pour l’emploi de deux de leurs enfants en tant qu’assistants parlementaires de leur père entre 2005 et 2007, ainsi que pour le contrat de Penelope Fillon comme «conseillère littéraire», en 2012 et 2013, à la Revue des deux mondes, propriété du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière.

«Mais j’ai surtout des regrets pour mon épouse, parce qu’elle a été marquée à vie dans cette affaire. Son nom a été jeté en pâture à l’opinion, par des médias sans déontologie», a affirmé l’ex-Premier ministre. Avant de conclure, amer : «Quelle que soit votre décision, rien ne pourra jamais effacer la violence de ce qu’elle a subi avec une dignité exemplaire.» Façon de poser son propre jugement comme supérieur à celui de la justice.

A la barre, la Galloise de 66 ans qui est la première à être interrogée sur le fond, suit la même ligne. La «violence des événements» l’a jusqu’ici «empêchée de bien s’expliquer», déclare-t-elle.

«Assistante de terrain» qui écrit «à la main»

Dès les années 1980 et le début de la carrière politique de son mari, elle a décidé de «l’aider à s’implanter, à s’enraciner», débute-t-elle. «J’étais l’assistante qui était sur le terrain dans la Sarthe», assure-t-elle, affirmant qu’elle s’occupait «du courrier» reçu au manoir familial de Beaucé, relisait des discours, le représentait lors de «comices agricoles» ou écrivait des «mémos» pour des visites locales.

Les contrats de 1981 à 1990, rémunérés en francs et portant notamment sur «l’aménagement du bocage sabolien», sont prescrits, souligne le président de la cour François Reygrobellet.

Ce sont trois contrats postérieurs qui lui valent des poursuites pour complicité et recel de détournement de fonds publics : le premier entre 1998 et 2002, pour 408 400 euros bruts au total. «Cette fonction n’était connue que de très peu de personnes, relève le magistrat : J’ai un peu de mal à comprendre ce qu’il y a d’essentiel à dissimuler une activité parfaitement officielle».

«Je n’ai rien dissimulé, mais je ne suis pas non plus allée vers les gens en disant : bonjour je suis assistante parlementaire. Personne ne m’a posé cette question», argue la prévenue. Auprès des Sarthois, «des gens discrets», «je n’ai pas eu besoin, ça n’aurait rien changé à mon travail».

« Curieux processus »

En 2002, Penelope Fillon est cette fois embauchée par le suppléant de François Fillon, Marc Joulaud, quand ce dernier est nommé ministre. Elle doit aider cet homme «d’une nature plutôt réservée» «sur le terrain dans les communes rurales».

Elle vivait alors à Paris la semaine et était «mère d’un cinquième enfant», relève le président. Et à nouveau, parmi les journalistes locaux ou les préfets, «personne ne semblait savoir que vous étiez l’assistante parlementaire de M. Joulaud». «Ils voyaient que je travaillais avec lui, tout en restant assez discrète pour qu’il ait l’occasion de s’affirmer de plus en plus», fait valoir la prévenue.

Le contrat et la rémunération - 645 600 euros bruts au total, supérieure à celle de M. Joulaud lui-même - ont été décidés par François Fillon. Un «curieux processus», s’étonne M. Reygrobellet. «S’il (M. Joulaud) n’avait pas été d’accord avec ce qu’il avait négocié, discuté, je suis sûre qu’il l’aurait dit», soutient Penelope Fillon.

Cherie Blair

La cour l’interroge aussi sur une interview donnée au Sunday Telegraph, en 2007. «Je n’ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre», avait-elle notamment déclaré à propos de son mari. Une expression «maladroite», jure la prévenue. Pour se distinguer de Cherie Blair, qui avait une «influence forte sur la carrière de (son mari)» Tony Blair, Premier ministre britannique, «j’ai minimisé ce que j’avais fait», dit-elle, évoquant aussi une «confusion» avec le terme anglais «d’assistant». En 2012-2013, elle redevient l’assistante parlementaire de son mari.

François Fillon était alors député de Paris ? Elle devait «garder le lien» avec la circonscription sarthoise, assure-t-elle. Sur toute la période, «jamais» elle n’a eu de bureau sur place et c’est «toujours» son mari qui s’occupait des contrats et de sa rémunération, admet-elle.

Si aucun «mémo» ou «correction de discours» n’a été retrouvé, c’est qu’elle «préfère écrire à la main». «Je donnais à François, qui ensuite les déchirait. Il n’y avait pour nous aucune raison à l’époque de garder ces traces».

Mise à jour à 21h35 avec la déposition de Penelope Fillon.