Cette fois, pas question d’éclipser sa Première ministre. A la veille du grand oral d’Elisabeth Borne, qui doit tracer la feuille de route des «cent jours» censés relancer le quinquennat, Emmanuel Macron n’a fait aucune annonce fracassante ce mardi 25 avril, lors de son déplacement à Vendôme, dans le Loir-et-Cher. Le chef de l’Etat a préféré endosser le costume qu’il adore mais que la réforme des retraites a froissé : celui d’un président «à portée d’engueulade». Comprendre : à l’écoute des vraies gens. Alors, dans la maison de santé de cette ville de 15 000 habitants, Emmanuel Macron prend des notes, écoute, pose des questions aux soignants assis en cercle sur des chaises en fer.
«Il vous en manque combien de collègues ?» lance-t-il le regard planté dans celui d’une sage-femme dont la maternité est menacée de fermeture. Jambes et bras croisés, hochements de tête. «Le problème sera réglé avant juin», tranche-t-il en se tournant vers son ministre de la Santé, venu faire de la figuration. Performance réussie pour François Braun, créateur et tenancier d’un vaporeux «club des ministres invisibles». Pour les grandes lignes sur la santé, il faudra le Conseil national du handicap ce mercredi mais aussi le 3 mai, jour de clôture du Conseil national de la refondation (CNR) Santé. Tout juste le chef de l’Etat rappelle-t-il quelques axes : développer les centres de santé, déléguer les actes simples, embaucher des assistants médicaux, lâcher la tarification à l’acte pour privilégier les prises en charges globales.
Bref : le sujet, dans le Loir-et-Cher, ce n’était pas la santé mais casser l’image du président monarque. Avant l’arrivée du cortège présidentiel, les pavillons somnolent, les rues sont bouclées par les CRS et les jetées de barrières. Après les coupures dans l’usine de Sélestat puis d’un collège dans l’Hérault lors de la venue d’Emmanuel Macron la semaine dernière, l’Elysée a apporté son propre groupe électrogène. Monté sur camion et raccordé à la maison de santé. La peur du noir après celle des casseroles ?
Le long du cimetière, loin des cordons de police, Céline mène un groupe en quête du rassemblement annoncé par les syndicats locaux. Avec des casseroles ? «On les a, oui, jusqu’à ce qu’on nous les pique !» lâche-t-elle dans un rire jaune. Trois ans qu’elle est de toutes les manifs anti-Macron. «Et là, on a eu plus de dix 49.3 ! On ne peut pas ridiculiser les institutions comme ça.» Tous ont eu vent de l’arrêté préfectoral prohibant les «dispositifs sonores amplificateurs de son», pris le matin. Céline ose une boutade : «Des années qu’on nous joue du pipeau, sur la réforme [des retraites] et le reste, à nous de répondre par des sifflets, des casseroles ou des flûtes à bec !»
Bain de foule fantôme
Les casseroles, finalement, sont saines et sauves mais elles résonnent loin de la zone surveillée. Des manifestants envahissent les voies de la gare. Des centaines débordent sur la nationale 10. Seule une poignée de badauds a pu s’amasser le long de barrières à proximité de la maison de santé. Pas de drapeaux ni de banderoles, mais une canopée de cheveux blancs, où se mêlent quelques visages juvéniles. Rémi, 20 ans, veut «demander au président comment il va» et surtout «lui poser des questions sur les nouvelles technologies financières». En chemise blanche, il n’est pas trader mais travaille en intérim à l’usine. La réforme des retraites ? «Pas le choix», hésite-t-il, en bredouillant une justification basée sur le vieillissement de la population.
A côté de lui, Ana est venue avec sa fille Sabrina. Elles veulent «dire bonjour au président, quand même». Même si, pour cette agente de service en établissement d’accueil d’enfants handicapés «ce n’est pas possible de travailler longtemps» : «Je fais pas que le ménage. Je prends les enfants dans mes bras, je les écoute». Ana n’ose pas trop s’étaler. A côté d’elle, Christian, 59 ans, est cariste, un métier qui casse. En préretraite depuis deux ans, il se réjouissait de partir pour de bon en septembre : «Mais là, je ne sais pas qui va me payer, pendant trois, six mois ? La Sécu ? Ça m’étonnerait que ma boîte me fasse un cadeau».
Ils ont attendu plusieurs heures dans la rue mais la rencontre présidentielle n’aura pas lieu. Après avoir fait miroiter aux journalistes un hypothétique bain de foule – histoire de montrer que décidément Emmanuel Macron n’a pas peur du peuple – les berlines filent à toute allure, direction l’hélicoptère élyséen. Quelques minutes plus tôt, le tribunal administratif d’Orléans suspendait l’arrêté préfectoral instaurant le «périmètre de protection» à Vendôme. Juste avant le décollage.