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Front populaire

Accord de la gauche pour des «candidatures uniques» : récit d’une (courte) soirée

Elections législatives 2024dossier
Les quatre forces de gauche sont tombées d’accord lundi soir sur la mise en place d’un «front populaire» pour les législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Ils ont promis aux jeunes venus devant le siège des écolos de «défendre un programme de rupture».
Rassemblement sauvage pour l'union des gauches et la création d'un front populaire, devant le QG des écolos, à Paris le 10 juin. (Denis ALLARD/Libération)
publié le 10 juin 2024 à 23h39

Il est 22h20 quand la rue des Petits-Hôtels dans le Xe arrondissement de Paris, jusqu’ici si tranquille, s’anime tout à coup ce lundi 10 juin. Voilà plusieurs centaines de jeunes militants, drapeaux des différents partis de gauche entre les mains tout droit venus de la place de la République. La foule s’arrête devant le numéro 11 où, depuis plusieurs heures, socialistes, insoumis, communistes et écologistes, représentants de la petite formation Génération·s et de Place publique tentent de trouver un accord pour s’unir en vue des législatives partielles des 30 juin et 7 juillet déclenchées par la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée la veille par Emmanuel Macron.

Face au risque de l’accession au pouvoir de l’extrême droite, les jeunes engagés ont un message à faire passer à leurs aînés. «Trouvez un accord ! Trouvez un accord !» scandent-ils. «Ne nous trahissez pas !» Justement, les chefs à plume des partis de l’ancienne Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) ont une bonne nouvelle : un début d’accord a été trouvé.

Fabien Roussel : «La gauche sera unie jusqu’à la victoire»

Alors qu’un communiqué vient d’être publié sur les réseaux sociaux, l’écolo Marine Tondelier, l’insoumis Manuel Bompard, le communiste Fabien Roussel et le socialiste Olivier Faure tiennent à l’annoncer à la foule présente face à eux – et dispersée par les gaz lacrymogènes de la police quelques dizaines de minutes plus tard. «Vous tombiez bien», commence la secrétaire nationale des écolos, affirmant que tout ce beau monde vient de se «mettre d’accord sur l’idée d’un front populaire» même «s’il reste beaucoup de travail». «Vous êtes beaux, vous êtes magnifiques», embraye le coordinateur de LFI. Le député de Marseille confirme que l’ébauche de deal prévoit «des candidatures communes au premier tour pour défendre un programme de rupture». A son tour, le chef des communistes prête serment «que la gauche sera unie jusqu’à la victoire». Mais les partis auront «besoin des jeunes», complète le socialiste au mégaphone. «Le front populaire ne peut pas se faire qu’entre nous», dit-il.

Les prises de parole font leur effet. Devant le siège des écolos, les jeunes militants chantent et crient comme pour fêter une victoire. «C’est une excellente nouvelle, on n’avait pas le choix de toute façon», célèbre Léa, qui, d’ordinaire, penche plus pour LFI. «On peut le faire, on peut battre les fachos», s’enthousiasme Tom, militant vert de 22 ans. La gauche n’est toutefois pas encore prête à partir en campagne dès demain. «Il reste du travail», insistent les participants des interminables réunions. Ces derniers doivent par exemple s’entendre sur «le programme de ruptures sociales et écologistes pour construire une alternative à Emmanuel Macron et combattre le projet raciste de l’extrême droite» vanté par le texte commun qu’ils ont signé. Pour l’instant, les différents partenaires ne se sont mis d’accord que sur le principe de candidatures uniques dans toutes les circonscriptions. Ce qui est finalement déjà un pas rapide et, vu les fractures à gauche… de géant.

Chacun a mis de l’eau dans son vin

D’autant que ce lundi, rien n’indiquait que les gauches sauraient s’entendre. Et qui plus est aussi vite. Après une campagne violente entre socialistes et insoumis, l’hypothèse d’un accord comprenant les deux formations n’avait rien d’une évidence. Mais la dissolution et le risque élevé de voir Jordan Bardella s’installer à Matignon poussent les uns et les autres à mettre de l’eau dans leur vin. Après avoir passé des semaines à dire qu’une alliance avec les mélenchonistes n’était plus possible, les roses revoient finalement leur position. Les insoumis qui, dimanche soir, semblaient esquisser une campagne législative en solitaire en prolongeant leur stratégie de faire voter les jeunes et les quartiers populaires se montrent, dans un second temps, bien plus unitaires. En proposant notamment, par la voix de leur coordinateur national, Manuel Bompard, une réunion des anciennes forces de la Nupes ce lundi après-midi.

Après de premières discussions sans la direction de LFI, les partis de gauche se retrouvent finalement à 16 heures chez les écolos. Sans le PS dans un premier temps, qui rejoint ses partenaires avec deux heures de retard. Le temps de discuter avec les associations, les forces syndicales, la société civile. «Si on fait juste un truc entre partis, ça ne peut pas fonctionner. Il faut aller au-delà», justifie Pierre Jouvet au PS. Pendant de longues heures, rien ne filtre. Les journalistes qui font le pied de grue devant les locaux des Verts n’ont rien à se mettre sous la dent. A l’affût de la moindre péripétie, les gratte-papier et les caméras se réveillent dès qu’une voiture ralentit au niveau du numéro 11 de la rue des Petits hôtels. Vers 19 heures, un taxi noir s’arrête. Tout le monde se met en branle pour filmer ce mystérieux nouveau participant. Mais raté, ce n’est qu’un confrère. Ce qui fait beaucoup rire Marine Tondelier, la cheffe des Ecologistes.

Listes de course

Durant l’après-midi, chacun des partis diffuse les grands principes qu’une potentielle alliance devra forcément contenir. Certains, comme l’augmentation du pouvoir d’achat des Français, se retrouvent dans les listes de courses de toutes les formations. Mais à travers leurs exigences, d’autres semblent cibler de potentiels futurs partenaires. Ainsi, quand le PS et Place publique dans leur communiqué commun affirment que le «cap clair» qui doit dicter une union de la gauche doit comprendre «le rejet de la brutalisation du débat public et de la violence physique ou verbale», ce sont les insoumis qui sont visés. Le soir au 20 heures de France 2, Raphaël Glucksmann qui vient de récolter presque 14 % aux européennes enfonce le clou. Le prochain Premier ministre «ne sera certainement pas Jean-Luc Mélenchon», affirme-t-il.

Pour Matignon en cas de victoire de la gauche, l’essayiste a une autre idée. «Je pense qu’il y a une figure de la société civile qui est capable d’apaiser, qui est l’antithèse du président actuel, qui ne jouera pas avec les institutions, qui réconciliera les Français, qui portera un projet de justice sociale et d’écologie. Oui, je pense à Laurent Berger», explique-t-il. Si le PS est dans la confidence, les autres partis en pleine négociation découvrent la prise de parole de Glucksmann sur leur téléphone. «Je crois que c’est une initiative individuelle», réagit Manuel Bompard sur BFM-TV. Le chef des insoumis ne semble pas vraiment convaincu par l’idée de voir l’ancien patron de la réformiste CFDT Premier ministre. A ce moment-là, un accord paraît loin. Le 20 heures du cofondateur de Place Publique n’est finalement pas un obstacle. Le principe d’un accord intervient trois heures plus tard. Sans que la question de la tête de l’affiche de l’alliance ne soit tranchée. Ce sera d’ailleurs sans doute la dernière à l’être. Avant ça, il y a un programme à rédiger et des circonscriptions à se partager. Le plus dur.

Mise à jour le 11 juin avec plus de contexte et d’éléments.