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Affaire Bétharram : une ex-professeure met en cause le couple Bayrou, le Premier ministre dénonce «une mécanique du scandale»

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A la suite du témoignage d’une ancienne enseignante à Notre-Dame-de-Bétharram assurant à «Mediapart» avoir alerté à plusieurs reprises le Premier ministre dans les années 90, François Bayrou a dénoncé ce vendredi 21 février une «mécanique du scandale» selon lui à l’œuvre.
Une vue aérienne de Notre-Dame-de-Bétharram, le 20 janvier 2025. (Gaizka Iroz /AFP)
publié le 20 février 2025 à 22h16
(mis à jour le 21 février 2025 à 13h21)

Encore un témoignage qui remet en cause la version du Premier ministre. Françoise Gullung, une ancienne enseignante de Notre-Dame-de-Bétharram, affirme de nouveau dans une vidéo diffusée jeudi 20 février par Mediapart que François Bayrou et son épouse ont ignoré ses alertes sur les violences infligées aux élèves de l’établissement catholique béarnais.

Professeure de mathématiques de 1994 à 1996, à l’époque où une première plainte est déposée par un parent d’élève, et où François Bayrou était ministre de l’Education, elle lui «fait un courrier» qui reste sans réponse, assure-t-elle. Elle avait déjà indiqué début février à l’AFP avoir alerté à plusieurs reprises les autorités (protection de l’enfance, diocèse) pour «dénoncer une atmosphère d’agressivité et de tensions anormales».

«Pour elle, ces enfants-là étaient d’une espèce inférieure aux siens»

Dans l’entretien accordé à Mediapart, elle s’arrête notamment sur une scène vécue avec l’épouse de François Bayrou, qui enseignait alors le catéchisme dans l’établissement, où plusieurs enfants du couple ont été scolarisés. «Il y avait une salle de classe dans laquelle on entendait un adulte hurler sur un enfant, on entendait les coups et on entendait l’enfant qui suppliait qu’on arrête, se souvient-elle. Je me retourne vers Elisabeth Bayrou et je lui demande ce qu’on peut faire. Pour moi ça veut dire qu’à deux, on peut peut-être ouvrir la porte. Mais elle n’a pas compris ça. Elle m’a simplement répondu, je ne me souviens pas des termes exacts, mais que ces enfants, il n’y en avait rien à en tirer.»

«J’avais l’impression que pour elle, ces enfants-là étaient d’une espèce inférieure aux siens […], que c’était normal qu’on les batte», complète-t-elle. Françoise Gullung évoque aussi un jour de 1995 où elle fait part à François Bayrou de ses inquiétudes, de vive voix, lors d’une cérémonie à Pau. «Je lui dis qu’il faut faire quelque chose car c’est très grave ce qui se passe à Bétharram. Je l’entends répondre : ‘‘Oui, on dramatise.’’ Je lui ai dit : ‘‘Non, on ne dramatise pas, c’est vraiment grave.’’ Et puis je suis partie. […] S’il avait agi, il y a trente ans de souffrance qui n’auraient pas eu lieu.»

Sous pression depuis deux semaines, le Premier ministre a répété à plusieurs reprises, à l’Assemblée nationale et dans la presse, n’avoir «jamais été informé», dans le passé, des faits dénoncés aujourd’hui dans cette affaire. «Cet article relève d’un délire dangereux, s’est indigné ce jeudi l’entourage du Premier ministre après la publication de Mediapart. Aujourd’hui, la seule chose qui compte est de permettre aux victimes d’être entendues, de trouver réparation et de voir les coupables répondre de leurs actes.»

Dans le sillage de cette affaire, une commission d’enquête parlementaire a été officiellement créée ce jeudi 20 février. Les membres de la commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale avaient voté mercredi unanimement pour se constituer en commission d’enquête.

La commission, présidée par la socialiste Fatiha Keloua Hachi, «est dotée des pouvoirs de commission d’enquête pour un délai de six mois, à partir de demain», a précisé la députée ce jeudi. Elle enquêtera sur «les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires», privés et publics. La désignation du ou des rapporteurs (l’insoumis Paul Vannier, à l’origine de cette initiative, s’est porté candidat), est prévue le 5 mars.

«Mécanique du scandale»

Le Premier ministre, François Bayrou, a dénoncé ce vendredi 21 février auprès des journalistes une «mécanique du scandale» selon lui à l’œuvre, à la sortie d’une réunion de travail du gouvernement à Matignon avec les cadres dirigeants de l‘Etat. «Ces protagonistes, je ne les connais pas, ma femme non plus», a-t-il assuré, dénonçant «la mécanique de l’affaire Baudis» où «les accusations étaient plus graves, plus obscènes contre lui» et où finalement «on s’est rendu compte à la fin qu’il n’y avait rien». Ancien député, maire de Toulouse et président de région, Dominique Baudis avait été mis en cause, à tort, dans une sordide affaire de proxénétisme, viols et meurtres liée au tueur en série Patrice Alègre, en 2003.

«Ceux qui montent ces scandales, ce n’est pas les victimes qui les intéressent, ce n’est pas la justice qui les intéresse», a surenchéri le Premier ministre, avant d’ajouter : «Ce qui les intéresse, c’est s’ils pouvaient monter un scandale qui aurait des répercussions politiques sur le gouvernement et le Premier ministre». Il estime avoir déjà «fait la preuve que quand [il a] été informé d’une claque, [il a] demandé une inspection générale».

François Bayrou a ensuite visé le gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002) en expliquant : «après, je n’étais plus ministre, j’ai apporté les documents qui prouvaient que le gouvernement de l’époque avait été directement informé». «Et depuis vingt-cinq ans, il n’y a plus eu hélas aucune alerte», a-t-il regretté. «Il n’y a rien de plus infamant que de viser la famille de quelqu’un pour l’atteindre politiquement», a conclu le Premier ministre.

Mise à jour : le 21 février à 13 heures, ajouts de la réaction de François Bayrou aux déclarations d’une ancienne professeure à Notre-Dame-de-Bétharram.