La salle est bondée. Dans le centre-ville de Lisieux, ce jeudi 23 mai, 300 personnes s’installent sur des chaises, d’autres s’adossent aux murs, tous curieux du débat «sur la fin de vie et l’accompagnement des malades» organisé par le député local, Jérémie Patrier-Leitus. Face à l’assistance, l’élu Horizons formule le vœu de faire «éclore un débat digne et serein où l’émotion et la raison ne s’opposent pas, mais se répondent et se complètent». Il parle pour la première fois de sa mère, atteinte d’un cancer du cerveau, qui a refusé toute aide à mourir. Il l’a accompagnée jusqu’à la fin de sa vie, et exprime sa «seule certitude» : la nécessité de «renforcer» les soins palliatifs. Et admet : «La vérité m’oblige à vous dire ce soir que je continue de cheminer intérieurement, que ma conviction n’est pas encore faite, que face à cette question, je reste humble et en proie au doute.»
Le projet de loi prévoyant d’ouvrir au patient un droit à «l’aide à mourir», sous certaines conditions, arrive dans l’hémicycle lundi 27 mai. Quinze jours de débats sont prévus. Le début d’un long parcours législatif prévu pour durer plusieurs mois. Depuis des semaines, députés de tous bords présentent et expliquent le texte, écoutent les interrogations de leurs électeurs en circonscription. «Les gens attendent ce débat, rapporte Agnès Firmin Le Bodo, rapporteure du texte et ancienne ministre de la Santé. Humainement, intellectuellement, l’exercice est intéressant. Il permet de nourrir la réflexion.» Touchant à l’intime, à l’éthique, parfois aux convictions religieuses, le sujet nécessite du temps. Et des pincettes. Certains députés, y compris dans la majorité, rechignent à aborder la future loi sur le terrain. «C’est un sujet difficile, que certains pensent clivant», remarque Agnès Firmin Le Bodo.
«Cette loi ouvre une boîte de Pandore»
Dans le Calvados, les clivages sont là, criants, teintés de catholicisme. Dans le fond de la salle, alors que le micro circule de mains en mains, un vieux monsieur se lève : «Comment se fait-il qu’on ait si peu développé les soins palliatifs pour qu’on se dise, aujourd’hui, que ça coûte moins cher de donner un coup de seringue ? Je suis scandalisé !» Avant lui, un chef d’entreprise, la cinquantaine, exprime la même réserve : «Le suicide est un acte immoral. Et cette loi ouvre une boîte de Pandore.» L’échange est nourri. Certains soufflent, lèvent les yeux au ciel. D’autres applaudissent. Un docteur, au premier rang, parle du serment d’Hippocrate et se dit «fermement opposé à la loi» : «Le risque de dérive existe.» Un gynécologue dresse le parallèle avec l’avortement. «Nombreux sont les partis à vouloir remettre en question la clause de conscience…», dit-il. Une soignante en Ehpad témoigne à son tour : «Je vois des gens qui pleurent parce qu’ils ne veulent plus vivre. Il n’y a plus que leurs yeux qui parlent. Qu’est-ce qu’on fait ? On pleure avec eux.» D’une voix calme, Charline Pouillet parle, elle, de son père, atteint de la maladie de Huntington. Elle s’interroge sur la notion de «court et moyen terme» du pronostic vital engagé, prévue dans la loi et permettant au patient de demander un suicide assisté. La jeune femme demande : «C’est une notion générique ? Liée à la maladie ? Au patient lui-même ?»
Sur l’estrade, Agnès Firmin Le Bodo tente de rassurer. «Cette loi n’est pas faite pour les personnes âgées, mais pour les personnes malades. Notre promesse républicaine, c’est d’accompagner les personnes les plus vulnérables.» Chaque détail du texte est décortiqué : la clause de conscience pour les médecins, le développement prévu des soins palliatifs, les verrous dans l’accès à l’aide à mourir… La députée de Seine-Maritime craint-elle des dérives ? «Je ne vais pas vous dire que dans cinquante ans la loi ne bougera pas, répond-elle. Tant que je serai députée, je souhaite que la loi reste avec les garde-fous que nous allons voter.» Dans la salle, des gens prennent des notes sur de petits carnets.
Chapelet autour du cou, Monseigneur Habert, évêque de Bayeux invité par le député, craint lui un «risque de rupture anthropologique» : «Quand on injecte une sédation profonde, la première intention est de soulager. Quand on administre une substance létale, l’intention est de donner la mort. Se donner la mort pourrait devenir quelque chose d’ordinaire.» Assis à ses côtés, le docteur Sep Hieng, chef de l’unité mobile de soins palliatifs à Lisieux, donne son point de vue : «Notre regard n’est pas de dire comment doit se passer la fin de vie des gens. Mais de ramener de l’éthique sur des situations singulières.»
«Si je suis un légume demain…»
«C’est à vous !» Mercredi 22 mai, dans une salle municipale de Palaiseau (Essonne), Jérôme Guedj passe lui aussi le micro à son public. Une cinquantaine de personnes – surtout des retraités – assistent à son «atelier législatif», auquel ont été conviées Anne Vivien, ancienne médecin anesthésiste à l’AP-HP, vice-présidente de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), et Françoise Ellien, psychologue clinicienne qui dirige une équipe mobile de soins palliatifs dans le département. Au second rang, un vieux monsieur confie ses craintes : «Si je suis un légume demain, il va falloir que mes enfants, mes petits-enfants viennent me voir… Je pense à leurs souffrances.» Autour de lui, chacun chuchote avec son voisin, raconte une expérience personnelle. A quelques sièges, une dame, retraitée : «Mais pourquoi ne voulez-vous pas aller au-delà ? Je voudrais qu’on m’aide avec une substance létale à mourir. On a le droit, quand on a toute sa conscience, d’être aidé le jour où on le décide.»
En Isère, Yannick Neuder a choisi, lui, de discuter avec ses électeurs autour du documentaire Vivants, de Victor Grange, une immersion dans une unité de soins palliatifs d’un petit hôpital des Yvelines. Après chaque projection, dans les villages de sa circonscription, le député Les Républicains répond aux interrogations. «Expliquer, ça suscite des réactions, relate l’élu, cardiologue à Grenoble. Qui a le droit à l’aide à mourir, qui fait le geste… Il y a beaucoup de questions sur le tiers. Faut-il l’autoriser ou pas ?» Tous, députés de la majorité comme de l’opposition, de droite ou de gauche, sont confrontés aux mêmes interpellations. Certains voient dans l’exercice une illustration de leur rôle de «courroie de transmission», dixit Yannick Neuder, un travail de pédagogie. D’autres continuent de cogiter, d’agréger les points de vue. Et assurent qu’ils le feront jusqu’au dernier moment, quand il faudra appuyer sur le bouton du vote.