«Ça y est ! Le Sénat adopte le texte pour réguler les Airbnb. Un travail transpartisan de longue haleine mené avec ma collègue [Renaissance] Annaïg Le Meur», s’est félicité mardi soir le député socialiste Iñaki Echaniz sur X. Son soulagement était d’autant plus grand que le texte a été à peine retouché par la Chambre haute. Avec sa co-équipière du Finistère, le député des Pyrénées-Atlantique a bataillé dur pour faire adopter la proposition de loi «visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif», qui a connu un parcours parlementaire chaotique. Votée en janvier par l’Assemblée nationale, elle avait mis près d’un an à être inscrite à l’ordre du jour, ce peu d’empressement étant lié à l’extrême sensibilité de sa mesure phare : la suppression du régime fiscal très favorable dont bénéficiaient les meublés de tourisme, connu sous le nom de «niche fiscale Airbnb».
L’examen du texte au Sénat, achevé vers 23 heures, aura duré sept heures, le temps de faire un sort à quelque 150 amendements. Mais il s’est déroulé dans un climat apaisé. A l’Assemblée, la majorité des Républicains, aux côtés du Rassemblement national, avaient fait front contre la PPL, au nom de la défense des «petits propriétaires». Au contraire du Sénat où le texte, adopté à l’unanimité en commission des Affaires économiques, a recueilli un très large soutien, même dans les rangs de la droite, majoritaire dans la «chambre des territoires».
«Il en va de notre responsabilité de permettre aux Français de se loger dans les territoires les plus touristiques», avait plaidé avant le vote le ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, favorable à l’essentiel des mesures pour «rétablir de l’équité». Il faut dire que cette initiative parlementaire «répond à une vraie demande des élus locaux mais aussi des populations qui commencent à étouffer sous la pression des Airbnb», soulignait mardi matin Iñaki Echaniz. Et le jeune élu des Pyrénées-Atlantiques de rappeler qu’en 2016, la France comptait 300 000 meublés de tourisme. «On est aujourd’hui à plus d’un million, avec une absence de réglementation» ayant pour effet, «dans des territoires comme le mien, que les habitants permanents ne peuvent plus se loger et sont obligés de dormir dans leur voiture l’été».
Airbnb et les «spéculateurs»
Cette situation de déséquilibre est largement imputable à la fiscalité, qui incite à la location de courte durée. Jusque-là, le propriétaire d’un meublé de tourisme bénéficiait d’un abattement pouvant atteindre 71 % de ses revenus fonciers, et jusqu’à 180 000 euros, quand celui qui louait son appartement à l’année n’avait le droit qu’à une réduction de 30 %, et seulement jusqu’à 15 000 euros. Cette «niche pousse-au-crime», comme la qualifie l’élu basque, était donc logiquement au cœur des débats.
Dans la version du texte adopté par l’Assemblée, la fiscalité des meublés de tourisme était alignée sur celle des meublés classiques, moyennant un taux d’abattement unique à 30 %, sauf dans les stations de ski ou les zones très peu denses. Sans toucher au taux de 30 %, le Sénat a cependant maintenu l’abattement de 50 % pour les meublés classés – qui font l’objet d’une certification garantissant une qualité d’accueil supérieure –, au motif que «le classement des hébergements meublés répond à un objectif de montée en gamme des capacités d’accueil touristique».
«Dans une période de grave crise du logement, rien ne justifie qu’on conserve cette niche fiscale», objectait pourtant le sénateur communiste Ian Brossat, ex-adjoint au Logement à la mairie de Paris, qui aurait voulu que le Parlement aille plus loin. «Nous allons négocier en commission mixte paritaire pour atterrir sur une autre répartition : 40% d’abattement pour les meublés touristiques classés, 40% pour les meublés longue durée, et 30% pour les non classés», confiait mardi soir Iñaki Echaniz.
Eviter les sujets qui fâchent avant les JO
De manière étonnante, même Airbnb semble en avoir pris son parti. Sur France Info ce mardi, son directeur général pour la France et la Belgique, Clément Eulry, s’était dit favorable au texte dans ses grandes lignes, y compris au coup de rabot fiscal. Est-ce parce qu’à deux mois des JO, le numéro 1 mondial de l’intermédiation locative veut éviter les sujets qui fâchent ? Le patron de la branche franco-belge s’est érigé en grand défenseur du pouvoir d’achat des Français, à la manière d’un Michel-Edouard Leclerc.
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«Ciblons les mesures sur les potentiels spéculateurs» et préservons «l’accueil touristique occasionnel», qui est «un complément de pouvoir d’achat dans l’écrasante majorité des cas», a ainsi plaidé Clément Eulry, précisant que «92 %» des Airbnb français sont «des résidences principales ou des maisons de famille» qui permettent de dégager un revenu médian de 3 900 euros par an.
Le patron de la filiale franco-belge n’avait pas caché cependant son opposition à la disposition donnant aux maires la possibilité de limiter à 90 jours, au lieu de 120, le nombre de nuits autorisées pour louer sa résidence principale sur la plateforme, la jugeant contreproductive. Cela «n’aura aucun impact sur le logement, aucun logement ne sera libéré. En revanche, ça va s’attaquer au pouvoir d’achat des Français et à l’accueil touristique». Le géant américain, dont il n’est un secret pour personne qu’il a mené une intense campagne de lobbying, a obtenu gain de cause sur ce point : les 90 ont été retoqués.
Airbnb qui se rallie à la loi anti-Airbnb ? «C’est un sacré revirement de position quand on connaît l’histoire de ce texte et les attaques régulières faites contre les règlements des communes», savourait cependant Iñaki Echaniz avant le vote du texte. C’est d’ailleurs un autre objectif de cette loi : sécuriser les communes d’un point de vue juridique. Car les mesures prises par les municipalités pour limiter la prolifération des meublés de tourisme – l’obligation de compensation ou les quotas comme à Saint-Malo – sont régulièrement attaquées par les plateformes, les conciergeries ou les propriétaires (individuellement ou via l’Union nationale des propriétaires immobiliers), retardant d’autant leur application.
Numéro d’enregistrement
«On attend avec une impatience énorme cette loi», affirmait Marie Nédellec, adjointe à la mairie de La Rochelle, mardi matin sur France Bleu. Dans la capitale de la Charente-Maritime, on dénombre plus de 6 000 locations de courte durée pour 52 000 logements, soit 11 % du parc immobilier. En octobre 2022, la mairie a voté une délibération obligeant les propriétaires de meublés voulant se lancer dans la location touristique à demander un changement d’usage et prendre une mesure de compensation – en transformant un autre bien en location longue durée. La délibération a été attaquée et, dix-huit mois plus tard, dans l’attente du jugement au fond, «nous ne pouvons toujours pas mettre en place notre règlement». Avec pour conséquence, poursuit l’élue chargée de l’Attractivité, que «les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration ne peuvent plus loger leurs collaborateurs».
Parmi les autres mesures adoptées, la loi prévoit de généraliser le numéro d’enregistrement de toute location d’un meublé de tourisme, un outil de suivi réclamé de longue date pour les maires pour qu’ils puissent mieux contrôler l’évolution de leur parc immobilier. Elle régule également la prolifération des résidences secondaires, en donnant la possibilité aux élus locaux de réserver les constructions nouvelles dans certains quartiers aux seules résidences principales.
Il n’y aura pas de deuxième lecture : sénateurs et députés devraient accorder leurs violons en commission mixte paritaire début juin, pour une entrée en vigueur de la loi à la rentrée.
Mise à jour à 00h15 après le vote de la loi au Sénat.