La France insoumise s’est retrouvée à Reims le temps d’un week-end pour la convention de «l’Union populaire». Tous les regards étaient tournés vers les propositions programmatiques et le discours du candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon. Le député de Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière, avait lui la tête ailleurs. La faute à une polémique sur les réseaux sociaux après son passage sur La Chaîne parlementaire (LCP). Une phrase au sujet des professeurs et des caricatures : «J’ai 53 ans. A mon époque, Charlie Hebdo était un journal réservé aux adultes. Est-ce qu’il y a des dessins là-dedans qui ne sont pas faits pour des adolescents ? Ce n’est pas pour autant que j’empêche la critique des religions. Un outil pédagogique doit être adapté à un enfant. Vous ne parlez pas de certaines choses à un enfant de 10 ans, comme un collégien ou comme un lycéen.» On a attendu la fin du rassemblement des insoumis et son retour à Paris pour l’interroger sur ses propos.
Votre passage sur LCP a créé la polémique : qu’est-ce que vous avez voulu dire ?
J’ai partagé une partie de mon expérience de professeur d’histoire en lycée professionnel pendant vingt-cinq ans. J’ai simplement énoncé ce que l’immense majorité des enseignants sait pour l’avoir rencontré. Tout enseignement suppose que le professeur adapte les supports qu’il utilise en classe au public qu’il a en face de lui. Un support pédagogique – une caricature bien choisie de Charlie Hebdo en est un pour enseigner la liberté d’expression et de caricature – n’a pas la même valeur selon l’âge de ceux que l’on a en face de nous, selon la question à traiter, le niveau de la classe, les difficultés plus ou moins importantes des élèves, les acquis des cours antérieurs, etc. C’est ainsi que l’enseignant choisit d’utiliser tel ou tel texte, image, extrait de film. C’est une évidence. Il faut faire preuve de tact, de sensibilité. Nos élèves charrient le meilleur mais aussi le pire des maux et les a priori de notre société. Les faire réagir, oui, mais toujours dans un but de transmission d’un savoir et d’émancipation. Sinon, à quoi bon ?
Très bien. Mais vos propos ont été mal compris…
(Il coupe). Ces remarques générales faites en fin d’émission n’étaient en rien une critique des choix pédagogiques et du travail de Samuel Paty – auquel j’avais rendu hommage au début. Dans l’extrait qui a circulé, ce n’est absolument pas de lui et de son cours dont je parlais. C’était une manière de répondre à ceux, tels le ministre Blanquer mais pas seulement, qui voulaient l’an dernier que l’on présente les mêmes documents sur la liberté d’expression à toutes les classes de France, ou qu’on les publie dans tous les manuels scolaires, quel que soit l’âge des élèves. Ce crime affreux fait partie de notre histoire commune, je comprends l’idée, mais je nuançais la méthode.
Il faut adapter les caricatures à l’âge des enfants ?
La caricature est libre et chacun est libre de ses dessins sous le seul contrôle de la loi. Mais n’est-il pas évident qu’une caricature de presse est destinée à un public particulier, celui des lecteurs du journal qui la publie ? Et qu’un enseignant, dans le cadre établi par l’Education nationale, doit être libre de sélectionner les documents de son choix lorsqu’il construit sa séquence de cours en fonction, notamment, du niveau de la classe ? Il y a aussi des programmes scolaires qui définissent très officiellement les textes et auteurs à privilégier selon la classe.
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Et Samuel Paty ?
Je n’ai jamais douté que Samuel Paty ait fait les bons choix qui convenaient aux classes qui lui étaient confiées. Jamais, pas une seule fois. Tous les témoignages de ses collègues et anciens élèves le confirment. Je rappelle que l’élève qui a déclenché les événements qui ont conduit à l’assassinat de Samuel Paty n’a pas vu les caricatures en question puisqu’elle était absente du cours ce jour-là. C’est pour dissimuler cette absence à son père qu’elle a inventé une rumeur contre le cours, puis ce sont des adultes n’ayant pas vu le cours qui ont déformé les faits. L’ère du soupçon et de la rumeur doit cesser.
Il y a eu un emballement sur les réseaux sociaux, notamment du PS. Avez-vous eu une discussion avec le Premier secrétaire, Olivier Faure ?
C’est essentiellement lui qui a lancé la charge, épaulé ensuite par un article de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles au titre mensonger. Olivier Faure a osé écrire dans un tweet que mon propos «laissait penser que Samuel Paty est responsable de son propre assassinat». Abject. Comment oser insinuer que je renvoyais victime et bourreau dos à dos ? Que je justifiais ce crime ignoble contre un professeur d’histoire qui est précisément ma profession depuis 1995 ? Que j’étais donc une sorte de complice du criminel islamiste ? Les déboires des socialistes dans leur début de campagne présidentielle leur font perdre toute lucidité ! Je les invite à se ressaisir.
Les critiques étaient nombreuses et pas seulement chez les socialistes…
Oui, je sais. Hier soir, le principal responsable du groupuscule Printemps républicain, un opportuniste qui fut un temps vallsiste, macroniste puis soutien de Mme Pécresse [Amine el-Khatmi, ndlr], m’a qualifié sur CNews de «cire babouche», rien que ça… C’est le vocabulaire classique de l’extrême droite. Génération identitaire, aujourd’hui dissout, ou Jean-Yves Le Gallou [ancien du Front national, aujourd’hui figure des identitaires d’extrême droite], utilisent depuis longtemps une expression quasi identique pour insulter leurs adversaires qui seraient coupablement solidaires envers les musulmans qui porteraient des babouches aux pieds. Sérieusement, peut-on lutter contre l’extrême droite en utilisant et en banalisant ses expressions ? Qu’en pense donc Olivier Faure qui fait encore partie des premiers signataires du Printemps républicain ? Approuve-t-il cette insulte inspirée des pires racistes ? J’ai lu par ailleurs que je ferais du clientélisme pour être élu en Seine-Saint-Denis. Ces délires en disent long sur leurs auteurs et leur vision ordurière de notre département. Ils croient donc qu’il faudrait flatter les criminels pour être élu ici ? Qu’il faudrait justifier l’obscurantisme religieux et la censure pour être soutenu ? Mais, quel mépris ! Quelle vision folle des habitants de Montreuil, de Bagnolet, et de la Seine-Saint-Denis.
On a le sentiment que ce genre de débats à gauche sont sans fin, une polémique par semaine…
J’en ai assez de ces débats et de ce stigmate. Ici, les habitants veulent des infirmières et des médecins scolaires, des animateurs, de profs titulaires plutôt que contractuels, des ouvertures de classes plutôt que des fermetures, des directeurs déchargés pour faire l’accueil des élèves et le lien avec les parents, des livres, des salles de lecture, des éducateurs spécialisés dans les environs des collèges où l’on assiste à des rixes interquartiers. Croire une seule seconde que les électeurs de Seine-Saint-Denis sont majoritairement complaisants avec le terrorisme ou hostile à la liberté d’expression est faux et injuste. Utiliser, en plus, la mémoire de Samuel Paty et de Charlie Hebdo pour véhiculer ces clichés racistes est proprement ignoble.
Vous n’avez pas répondu à une question. Avez-vous eu une discussion avec Olivier Faure ?
Oui. Lorsque j’ai découvert son tweet, j’ai d’abord envoyé à Olivier Faure un SMS pour lui préciser que mon propos sur LCP ne concernait absolument pas le cours de Samuel Paty. J’ai cru à une méprise de bonne foi de sa part. Il m’a répondu avec aigreur que cela importait peu et que, dans la mesure où il était lui aussi la cible de sympathisants insoumis sur les réseaux, il n’avait rien à corriger. La vérité lui importait peu, c’est donc clairement un petit règlement de compte politicien. Je précise enfin que, malgré ces attaques, j’ai reçu de très nombreux messages de soutien. Beaucoup de gens, et en particulier des professeurs, en ont assez de ces controverses outrancières, basées sur l’extrapolation de paroles.
La fondation Jean-Jaurès estime après un rapport qu’un professeur sur deux se censure face à ses élèves. Vous avez ce retour sur le terrain ?
Si mes détracteurs avaient regardé en entier l’émission que vous évoquez, ils auraient entendu ma réponse à cette question. J’avais d’ailleurs évoqué le même sujet la veille sur la matinale de France Info sans que cela ne provoque de réaction en plateau ou sur les réseaux. Je n’ai pas fait d’enquête statistique mais j’ai été très longtemps enseignant en lycée professionnel avant de devenir député et j’ai donc une certaine expérience. Oui, après la mort de Samuel Paty, l’institution scolaire, professeurs et élèves, a été profondément blessée et traumatisée. C’est bien compréhensible que les professeurs aient des peurs et des réserves. Mais ils ont fait face. Derrière une formule sensationnaliste, que dit l’étude de la fondation Jean-Jaurès ? Les professeurs interrogés indiquent que durant toute leur carrière, «afin d’éviter de possibles incidents avec les élèves», ils se sont autocensurés «souvent» pour 5 % et «de temps en temps» pour 22 %. Je regrette que cette enquête n’ait pas cherché à aller plus loin pour préciser cette notion très vague d’autocensure.
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Vous remettez en cause l’enquête ?
Il faudrait savoir exactement ce que les enseignants sondés entendent par là. S’il s’agit de l’absence de réaction devant un propos raciste, antisémite, sexiste ou homophobe, l’impossibilité par exemple de parler de liberté d’expression ou de la laïcité, l’autocensure serait, oui, très grave et inacceptable. Les programmes scolaires ne seraient pas respectés. Mais est-ce de cela qu’il s’agit ? Je ne le crois pas. Cela ne correspond ni à mon expérience personnelle ni aux témoignages que je reçois. Les professeurs ne l’accepteraient pas et je ne laisserai pas dire qu’ils font mal leur travail. L’étude de la fondation Jean-Jaurès nous dit que ce malaise concernerait surtout des enseignants de moins de 30 ans. Intéressant. C’est donc lié à un problème de formation et d’encadrement pour les jeunes profs que l’Education nationale accompagne de plus en plus mal. Jean-Michel Blanquer aggrave les choses avec sa réforme des concours de recrutement. Le saupoudrage de quelques heures de formation à la laïcité ne peut masquer cette réalité crue. Entre 2015 et 2019, le nombre de journées-stagiaire-laïcité est passé de 52 000 à 18 900. Sous Emmanuel Macron, la formation des enseignants a été dégradée.
Que proposez-vous ?
Les polémiques politiciennes qui utilisent l’école et même la mort de Samuel Paty comme terrain de règlement de compte et nous divisent artificiellement doivent être évitées. Avec Jean-Luc Mélenchon, nous voulons renforcer la formation en liant davantage l’étude de chaque discipline et la pédagogie. La moyenne en France est de 24 élèves par classe, alors qu’elle est de 19 en Europe. Nous voulons la baisser. Nous voulons augmenter les salaires des professeurs, si mal traités depuis deux décennies par ce gouvernement et les précédents. Il faut proposer des solutions qui nous rassemblent, pour défendre l’école publique, laïque et républicaine si abîmée par les politiques actuelles et passées.