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Bercy

Gouvernement Barnier : Antoine Armand ministre de l’Economie et des Finances, Laurent Saint-Martin au Budget, chapeauté par Matignon

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Antoine Armand, énarque, spécialiste des questions énergétiques, devient ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. A un autre macroniste, Laurent Saint-Martin, revient le délicat dossier du Budget, sous la supervision directe du Premier ministre.
Le député Renaissance Antoine Armand à l'Assemblée nationale en février. (Miguel Medina/AFP)
publié le 21 septembre 2024 à 20h37
(mis à jour le 21 septembre 2024 à 22h40)

Le changement à Bercy, c’est maintenant. Non, les ministres chargés de l’Economie et du Budget ne comptent toujours pas davantage de femmes, mais des hommes plus jeunes et au plus faible calibre politique. Michel Barnier vient de nommer à Bercy deux trentenaires du parti macroniste, qui n’ont jamais participé à un gouvernement. L’un, Antoine Armand, 33 ans, est député de Haute-Savoie, élu pour la première fois en 2022 et réélu en juillet 2024 face au Rassemblement national. L’autre, Laurent Saint-Martin, 39 ans, directeur général de Business France (l’agence publique de promotion de la France à l’étranger) et conseiller régional d’Ile-de-France, replonge en politique : il a été député pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron avant de perdre sa circonscription du Val-de-Marne en 2022 face au candidat de La France insoumise Louis Boyard. Défaite qui avait alors représenté une humiliation majeure pour la macronie.

Antoine Armand quitte la présidence de la commission des affaires économiques de l’Assemblée, qu’il occupait depuis juillet, pour devenir ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, remplaçant Bruno Le Maire. Cet ancien de l’inspection générale des finances connaît les questions industrielles et énergétiques. Il leur a consacré un livre «Le Mur énergétique» (ed. Stock) recensant «30 ans d’erreurs politiques» après avoir été rapporteur de la commission d’enquête sur la perte de souveraineté énergétique française et défend la sortie «des oppositions de chapelle.». Il sera le colocataire de Laurent Saint-Martin, à qui revient le délicat dossier du Budget, rattaché au Premier ministre.

Encarté au PS entre 2009 et 2012, ancien secrétaire général du think-tank En Temps réel, marcheur des premières heures, ce diplômé d’une école de commerce (Edhec) a été rapporteur général du Budget à la commission des finances entre 2020 et 2022, le plus jeune de l’histoire. Laurent Saint-Martin a aussi en 2021 été propulsé tête de liste pour l’ancienne majorité présidentielle aux dernières régionales en Ile-de-France (il est arrivé aux deux tours en quatrième position) puis était devenu le trésorier de la campagne d’Emmanuel Macron en 2022. En récompense de sa fidélité, le président de la République le nomme en janvier 2023 à la tête de Business France.

Antoine Armand, avec ses ministres délégués Marc Ferracci (l’économiste député macroniste, proche d’Emmanuel Macron, s’occupera de l’Industrie), Marie-Agnès Poussier-Winsback, pour l’économie sociale et solidaire, l’intéressement et la participation, Marina Ferrari pour l’économie du tourisme, la controversée Laurence Garnier, nommée secrétaire d’Etat à la Consommation et Laurent Saint-Martin au Budget, héritent des prérogatives que Bruno Le Maire a détenues pendant plus de sept ans, à un détail près, et non des moindres : Laurent Saint-Martin référera directement à Michel Barnier, avec le titre de «ministre auprès du Premier ministre chargé du Budget et des comptes publics».

Une légère sensation de téléportation dans les années 70, sous la présidence Giscard, quand Raymond Barre, cas unique alors dans la Ve République, a cumulé les postes de Premier ministre et de ministre de l’Economie et des Finances, de l’été 1976 au printemps 1978. De là à en déduire que Michel Barnier imitera son lointain et défunt prédécesseur, ancien commissaire européen comme lui, en menant une politique d’austérité, c’est à voir. En tout cas, est révolue l’époque du ministre de l’Economie et des Finances prééminent Bruno Le Maire qui avait fini par se hisser au gré des remaniements devant ses collègues dans le rang protocolaire. Antoine Armand et Laurent Saint-Martin sont eux à la 9e et à la 19e place.

Comme pour imprimer d’avance sa marque sur le dossier budgétaire, qui sera piloté par Michel Barnier, le macroniste Antoine Armand a donné dès samedi soir une interview sur ses intentions fiscales. Et ce dans les colonnes du JDD de Vincent Bolloré, visiblement pour s’adresser à l’aile droite de l’électorat. Le jeune ministre martèle le credo macroniste de refuser des hausses d’impôts. «Oui le contexte budgétaire est inédit et chaque ministère devra faire des propositions pour redresser les finances publiques. Mais je ne serai pas le ministre de la confiscation fiscale ni celui du sous-investissement dans notre avenir économique.» A voir s’il aura le dernier mot.

Dossier inflammable autant politiquement qu’économiquement

Car le Premier ministre ne cédera visiblement pas la barre sur cette administration réputée (toute) puissante et ne laissera personne non plus jouer sa propre partition sur le dossier du budget, inflammable autant politiquement qu’économiquement. Le premier sur lequel il doit agir, et qui pourrait lui coûter son poste au terme d’un débat parlementaire qui s’annonce dantesque. Il ne pourra pas compter sur sa seule coalition entre les élus de la Droite républicaine et les macronistes, totalisant 213 députés, pour s’épargner un recours à l’article 49.3 de la Constitution. Michel Barnier a déjà préparé le terrain, en qualifiant la situation budgétaire de «très grave» dans une déclaration transmise à la presse mercredi en précisant qu’elle «exige[ait] de la responsabilité» et qu’il la «découvr[ait]». Il est permis de douter du dernier point. Que les finances publiques dérapent depuis l’an dernier, avec un enchaînement de nouvelles toutes plus mauvaises les unes que les autres, tant sur les recettes que sur les dépenses des collectivités, n’est plus un secret pour personne. Le Premier ministre a par ailleurs nommé Jérôme Fournel directeur de son cabinet, l’un des hommes les mieux informés de l’état des comptes du pays. Ce dernier a quitté en janvier son poste de directeur général des finances publiques pour diriger le cabinet de Bruno Le Maire, avant que le nouveau Premier ministre le fasse venir à Matignon. Un élu macroniste interprète cette nouvelle architecture : «Cela veut dire que c’est Fournel qui a fait le budget et qu’il va le contrôler directement.»

Laurent Saint-Martin ne va pas avoir le temps de réfléchir longtemps à l’exacte étendue de son pouvoir. Son urgence absolue sera la finalisation du projet de loi de finances pour l’an prochain, qu’il doit transmettre dans les tout prochains jours au Conseil d’Etat, et pour une partie du texte, au Haut conseil des finances publiques afin qu’ils l’examinent avant son dépôt à l’Assemblée nationale. Ce dernier devait intervenir le 1er octobre, mais l’entourage du nouveau Premier ministre a déjà laissé entendre qu’il s’affranchirait de cette obligation légale pour ne le présenter le 9 octobre, la semaine suivant sa déclaration de politique générale.

Année de plus en plus en vrac

Pour l’instant, sur le fond, Michel Barnier n’a rendu public qu’un seul arbitrage : il reprend à son compte le brouillon de budget laissé par son prédécesseur Gabriel Attal, soit la partie dépenses. Ces dernières sont stables en valeur par rapport à la dernière loi de finances à 492 milliards d’euros (ne pas intégrer l’inflation représente déjà 10 à 15 milliards d’euros d’économies). Les dotations prévues pour chaque ministère, récapitulées à grands traits dans un tiré à part «intermédiaire», ont été transmises jeudi aux parlementaires. Le document précise tout de même que ces plafonds «ne préjugent pas des modifications et ajustements qui pourront être proposés». Pour les recettes, rien n’a été arbitré officiellement, comme l’ont montré les secousses de la semaine dernière entre la macronie et la droite autour des impôts. Avec Laurent Saint-Martin, connu pour défendre le sérieux budgétaire et les baisses d’impôts macronistes, il ne faut pas s’attendre à une révolution fiscale pour matérialiser la promesse de Barnier d’instaurer davantage de justice fiscale. Son discours lors de la passation de pouvoirs dimanche en fin d’après-midi à Bercy a d’ailleurs confirmé que le pouvoir ne changerait pas de logiciel et ne reviendrait pas sur la politique de l’offre.

Le nouveau ministre, secondé par Antoine Armand qui prendrait en charge des négociations avec Bruxelles, devra aussi inscrire dans le PLF la trajectoire des finances publiques et les nouvelles cibles de déficit, qui figureront également dans le plan national pluriannuel que la Commission européenne aurait dû recevoir le 20 septembre. Sachant que plus personne, hormis Bruno Le Maire, ne pense réaliste de repasser sous les 3 % de déficit public en 2027, comme le gouvernement Attal s’y était engagé au printemps auprès de Bruxelles dans le programme de stabilité.

Laurent Saint-Martin n’aura d’autre choix que de clarifier la situation budgétaire de cette année de plus en plus en vrac. L’objectif gouvernemental d’un déficit à 5,1 % du produit intérieur brut inscrit dans le programme de stabilité au printemps semblait déjà inatteignable à l’époque, il ne tient plus aujourd’hui. La paralysie politique dans laquelle la dissolution a enfoncé le pays n’a rien arrangé à l’affaire. Le nouveau gouvernement devra aussi décider de ce qu’il fait des crédits gelés : transformer les 16,7 milliards d’euros en coupes ou seulement une partie, avec les conséquences sur des politiques publiques déjà rabotées de 10 milliards par décret en février. Il ne pourra plus s’exonérer de l’aval du Parlement lors d’un projet de loi de finances rectificatives pour cette année ou du projet de loi de fin de gestion en décembre. Ce passionné de rugby (il soutient le Stade Toulousain) passera donc le plus clair de ses prochaines semaines dans la mêlée de l’hémicycle du Palais-Bourbon à tenter d’arracher des compromis de plus en plus improbables.

Mis à jour : avec interview d’Antoine Armand au JDD et avec la passation de pouvoirs dimanche soir à Bercy.