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Fronde

Après la grève historique des diplomates, le Quai d’Orsay tente de rassurer ses agents

La ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna a reçu ce mardi les syndicats et le collectif à l’origine de la mobilisation inédite du 2 juin. La direction du ministère répète défendre les «garanties obtenues» dans l’application de la réforme de la haute fonction publique.
Des diplomates manifestaient aux Invalides, à deux pas du ministères des Affaires étrangères à Paris, jeudi 2 juin. (Riccardo Milani/Hans Lucas. AFP)
publié le 7 juin 2022 à 19h35

Communiquer avec parcimonie. Cinq jours après un rarissime mouvement de grève des diplomates, jeudi 2 juin, la nouvelle ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna a reçu ce mardi les syndicats et le collectif de jeunes agents à l’origine du mouvement de contestation contre la réforme de la haute fonction publique. Cette «première réunion d’écoute», dixit le ministère, vise à «répondre aux inquiétudes exprimées». Ces échanges, qui doivent se poursuivre, doivent également permettre d’«examiner les moyens nécessaires à une diplomatie moderne, efficace, professionnelle, au service des Français».

Hormis ces quelques éléments de langage, le ministère n’a pas souhaité commenter ce premier échange. Est-ce parce que la cheffe de la diplomatie française doit s’entretenir ce mardi en fin de journée avec la Première ministre Elisabeth Borne, laquelle devrait faire remonter les informations à Emmanuel Macron ? Ou plutôt parce que la direction du Quai d’Orsay sait que l’application de la réforme, voulue par le chef de l’Etat, ne devrait donner lieu qu’à peu d’inflexions significatives ? «Le dialogue a été engagé, a réagi de son côté l’intersyndicale et le collectif de diplomates. Nous restons mobilisés.»

«Jean-Yves Le Drian n’a pas eu assez de poids pour s’opposer»

Après la mobilisation du 2 juin, le ministère s’était empressé de communiquer sur l’événement. Si elle reconnaît l’inquiétude des agents, la direction répète les mots-clés des initiateurs de la réforme: décloisonnement, ouverture, mobilité. Un aveu d’échec ? «Jean-Yves Le Drian n’a pas eu assez de poids et de caractère pour s’opposer à la réforme», grince auprès de Libé un connaisseur du dossier. La même source veut croire au «caractère» et à la fine connaissance du Quai de Catherine Colonna pour faire bouger les lignes. Suffisant ?

Pour l’heure, la direction défend donc les «garanties» obtenues, en premier lieu la préservation du concours d’Orient. Des candidats maîtrisant une langue rare et spécialiste d’une aire géographique continueront d’entrer au Quai par cette voie prestigieuse. Face aux craintes de nominations de hauts fonctionnaires n’appartenant pas au sérail diplomatique à des postes d’ambassadeurs ou de directeurs, une «commission d’aptitude» devant laquelle devront passer les primo nominés sera mise en place. Le ministère des Affaires étrangères rassure également sur le fait que ses agents pourront continuer à faire toute leur carrière au sein du Quai, sans avoir l’obligation de passer par un autre ministère.

Reste que la réforme de la haute fonction publique, voulue par Emmanuel Macron, est sur les rails. Au Quai d’Orsay, elle concerne deux corps historiques (celui des ministres plénipotentiaires et des conseillers des affaires étrangères), qui sont «mis en extinction». Les agents de ces corps ont vocation, au 1er janvier 2023, à rejoindre le nouveau corps «d’administrateurs de l’Etat», formés au sein de l’Institut national du service public (ex-ENA). Ce nouveau vivier de hauts fonctionnaires doit encourager, selon les concepteurs de la réforme, les mobilités entre ministères.

Face à ce bouleversement, les diplomates déplorent une concurrence accrue de hauts fonctionnaires étrangers à la diplomatie. «Désormais, les représentants de la France à l’étranger seront recrutés au sein d’un corps unique de hauts fonctionnaires dont rien ne garantira ni n’exigera de spécialisation», notait ainsi l’ancien ambassadeur Gérard Araud, dans une chronique publiée dans le Point dimanche.

«Réformes engagées avec brutalité»

La mobilisation des opposants, elle, ne faiblit pas. Une quarantaine d’anciens ambassadeurs et directeurs du Quai ont signé une tribune dans le Monde, le 3 juin, pour critiquer des «réformes engagées avec brutalité et sans aucun examen parlementaire» et alerter sur «le risque majeur d’affaiblir durablement l’outil diplomatique de la France». Parmi eux, figurent notamment l’ex-sherpa de Jacques Chirac et secrétaire général du Quai d’Orsay Maurice Gourdault-Montagne, l’ex-patron de la DGSE et ambassadeur Bernard Bajolet, ou encore Denis Bauchard et Yves Aubin de La Messuzière, anciens patrons de la direction Afrique du Nord-Moyen Orient au ministère. «Les jeunes diplomates ont raison de s’inquiéter, estime ce dernier auprès de Libération. Ils sont entrés au Quai avec des perspectives. Celles-ci se ferment en partie.»

La contestation s’est également déplacée au Sénat. Deux parlementaires, Jean-Pierre Grand (LR) et André Vallini (PS) planchent sur «l’avenir» du corps diplomatique. Le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Christian Cambon (LR), s’est déjà interrogé en avril sur le «sens» de la réforme. Auprès de Public Sénat, l’élu du Val-de-Marne réaffirmait que «dans les moments de crise que nous traversons, on a besoin de diplomates aguerris, compétents». Les conclusions de cette mission d’information parlementaire devraient être rendues publiques cet été.