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Libération
Reportage

Au QG de Christiane Taubira, soirée de liesse et rêves de rassemblement

Election Présidentielle 2022dossier
Pour les soutiens de l’ancienne garde des Sceaux, la victoire à la Primaire populaire lui donne une légitimité pour mener le rassemblement de la gauche. L’ancienne députée a prévu de passer un coup de fil à ses concurrents pour aboutir à «une action commune».
Les soutiens de Christiane Taubira se sont rassemblés au Point éphémère, dans le Xe arrondissement de Paris, pour les résultats de la Primaire populaire, dimanche. (Boby/Libération)
publié le 31 janvier 2022 à 7h52

Satanée connexion… Il est un peu plus de 19 heures dimanche soir et, au Point éphémère, un grand centre culturel du Xe arrondissement, on trépigne d’impatience. D’une minute à l’autre, les résultats de la Primaire populaire doivent être annoncés mais, au QG du jour de Christiane Taubira, un mauvais wifi fait buguer l’écran qui diffuse la prise de parole des organisateurs du scrutin citoyen. De quoi ajouter du stress au stress. Les notifications affirmant que Christiane Taubira a remporté la Primaire populaire arrivent sur les portables des soutiens de l’ancienne ministre plutôt qu’en direct. Christian Paul, maître d’œuvre de la précampagne, avait quand même rassuré tout le monde par un pouce en l’air depuis la scène.

Voilà donc l’ancienne députée de Guyane officiellement en course pour l’Elysée. Quelques semaines plus tôt, Taubira avait affirmé qu’elle conditionnait sa candidature à une victoire à cette consultation citoyenne inédite. Celle qui apparaissait comme la grande favorite du scrutin l’a logiquement emporté en recevant la mention «bien +». Alors, dans la salle assez exiguë où d’ordinaire se jouent des concerts, on chante des «Taubira présidente» et des «dès ce soir, l’union». «Ça y est, enfin, on l’a fait», hurle un jeune homme en sautant dans les bras d’un de ses amis. Au pied de la scène, les proches de l’ancienne ministre de la Justice affichent de tels sourires qu’ils crèvent les masques.

«Nous voulons une gauche unie, une gauche debout»

Large sourire aussi, Christiane Taubira avance lentement vers son pupitre sous les ovations de ses fans : «Mes premiers mots seront pour vous tous qui avez décidé de faire irruption dans cette campagne. […] Vous qui avez montré que vous étiez capables de troubler les choses, débute l’ex-garde des Sceaux. Je veux dire que je mesure la confiance que vous me témoignez. Je ressens aussi le poids de cette confiance.» Elle se lance alors dans l’un des discours lyriques dont elle a fait sa marque de fabrique, citant pêle-mêle Jean Jaurès, Léon Gambetta, Léon Blum, François Mitterrand, Olympe de Gouges et Gisèle Halimi. «Seule la gauche est en capacité d’affronter les temps et les défis qui sont face à nous», assure Taubira. La gauche oui, mais dans quel état ? «Nous voulons une gauche unie, une gauche debout», lance l’ancienne du PRG qui rêve tout haut d’une «action commune» avec les socialistes, les écologistes, les insoumis et les communistes, dont elle nomme les candidats par leur prénom : «J’appellerai Anne. J’appellerai Yannick. J’appellerai Fabien. J’appellerai Jean-Luc. Je sais leur réticence mais je sais aussi leur intelligence et leur sens de l’intérêt général. Parce que l’enjeu, c’est l’avenir de nos enfants.»

Le rapide discours terminé, l’heure est à la fête. Les jeunes militants s’amassent autour des bars en quête de houblon. «Cette investiture de la Primaire populaire nous donne désormais un mandat de rassemblement», assure Christian Paul, qui note que «400 000 votants, c’est plus que la primaire écologiste et la primaire Les Républicains réunies». L’ancien député PS Daniel Goldberg vante, lui, «les collectifs Taubira» qui représenteraient 90 000 personnes dans toute la France et qui, à ses yeux, vont apporter «une manière différente de faire campagne». Contrairement à ce que peuvent dire Yannick Jadot ou Anne Hidalgo, Christiane Taubira n’est pas «une candidature en plus», insistent-ils. «C’est la seule qui s’est donné le rassemblement pour mission quand tous les autres ont tenté des décollages solitaires. Taubira, c’est l’antidote à la division», persiste Christian Paul.

«La victoire est possible en 2002»

Sur le bord du canal Saint-Martin, Sarah, 28 ans, et Nina, 42 ans, savourent leur soirée de fête. Elles se sont rencontrées via le groupe Facebook Taubira pour 2022 lancé bien avant que l’ex-garde des Sceaux ne se lance dans l’aventure. «Ça fait un an que j’espère et que je milite pour Christiane Taubira, explique Nina. Je mesure le chemin parcouru entre notre initiative isolée et la victoire de ce soir.» C’est le parcours de l’ancienne ministre qui lui plaît. «Elle a participé à de grandes batailles» comme le mariage pour tous ou la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage. Si Sarah a décidé de militer pour Taubira, c’est parce qu’elle est «la seule capable d’aboutir à l’union». «Elle joue le jeu du rassemblement quand les autres ne le font pas», déplore la jeune femme.

Au Trabendo, près de la Villette, on chante aussi en attendant la gagnante du soir. 21h30, Christiane Taubira arrive. Comme un message subliminal, la sono joue I Will Survive de Gloria Gaynor. Sur la scène, l’ancienne ministre signe le «contrat de rassemblement» de la Primaire populaire. Elle renouvelle sur scène son appel à l’union. «Il peut y avoir des nuances, quelques divergences, mais il n’y a rien de rédhibitoire, rien ne nous empêche de discuter», lance-t-elle sous les applaudissements nourris de la salle. En conclusion, la langue de la championne du jour fourche. Elle assure que «la victoire est possible en 2002». Drôle de lapsus, qui renvoie à vingt ans plus tôt, à l’éparpillement de la gauche et Lionel Jospin éliminé dès le premier tour de la présidentielle. A l’époque, Christiane Taubira et ses 2,32% étaient sur le banc des accusés. «Cette fois, elle va nous faire gagner, veut croire Julien, militant de la Primaire populaire. L’histoire n’est pas un éternel recommencement.»