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Négociations

Autonomie de la Corse : gouvernement et élus locaux enfin d’accord sur le statut d’autonomie

Le gouvernement et des élus corses, dont le président autonomiste du conseil exécutif Gilles Simeoni, sont tombés d’accord dans la nuit de lundi à mardi sur l’inscription dans la Constitution «d’un statut d’autonomie» de l’île. Plusieurs étapes restent à franchir.
Le président du groupe nationaliste Core in Fronte, Paul-Felix Benedetti (à gauche), et le président du conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni (à droite), arrivent pour une réunion avec le ministre français de l'Intérieur et les élus corses, au ministère de l'Intérieur, lundi soir à Paris. (Julien De Rosa/AFP)
publié le 12 mars 2024 à 7h06
(mis à jour le 12 mars 2024 à 11h40)

Un accord après près de deux ans de discussions. Le gouvernement et des élus corses ont validé dans la nuit de lundi à ce mardi 12 mars un projet d’ «écriture constitutionnelle» prévoyant «la reconnaissance d’un statut d’autonomie» de l’île «au sein de la République». Ce projet d’accord vient parachever le «processus de Beauvau» initié par le ministre de l’Intérieur. Il va désormais être transmis à l’Assemblée territoriale corse pour qu’elle le vote, a précisé à la presse Gérald Darmanin à l’issue d’une rencontre de près de cinq heures au ministère.

Le texte «respecte à la fois les lignes rouges fixées par le président de la République et moi-même, et également le temps imparti» par Emmanuel Macron, une période de six mois censée s’achever fin mars et déboucher sur un accord, a souligné Gérald Damanin.

Le ministre de l’Intérieur et les élus insulaires présents, dont Gilles Simeoni, président autonomiste du conseil exécutif de Corse et Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud et président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, ont notamment trouvé un accord sur le premier alinéa de cette «écriture». Celui-ci prévoit «la reconnaissance d’un statut d’autonomie pour la Corse au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre».

«Nous sommes en demi-finale»

Gouvernement et élus sont aussi tombés d’accord sur le fait que «les lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptation» sur l’île, a informé Gérald Darmanin, mais aussi pour que l’assemblée de Corse dispose d’un «pouvoir normatif propre, qu’il soit législatif ou réglementaire». Le champ en sera précisé par une future loi organique, une loi de rang inférieur à la constitution mais supérieur aux lois ordinaires, a poursuivi Darmanin, citant à titre d’exemples l’urbanisme et le foncier. Les décisions prises par l’assemblée insulaire feraient ensuite l’objet d’un contrôle du Conseil constitutionnel.

Gilles Simeoni a vu dans ce point un «pas décisif», se félicitant que «le principe d’un pouvoir de nature législative […] soit aujourd’hui clairement acté». «L’étendue et les modalités d’exercice de ce pouvoir législatif […] relèveront de la loi organique», une loi de rang inférieur à la Constitution mais supérieur aux lois ordinaires, a-t-il précisé. «Je dirais que ce soir nous sommes en demi-finale, reste à gagner la demi-finale, et la finale.»

En revanche, Gérald Darmanin a souligné que ce texte ne prévoyait pas qu’il y ait en Corse «deux catégories de citoyens». «Il n’y a pas de notion de peuple [corse] mais de communauté culturelle», a-t-il détaillé, écartant aussi tout «statut de résident» sur l’île, censé lutter contre les problèmes d’accès des insulaires au logement, face à la concurrence des visiteurs occasionnels. «Nous avons avancé vers l’autonomie» et «il n’y a pas de séparation de la Corse avec la République» notamment puisqu’on «n’évoque ni le peuple, ni le statut de résident, ni la co-officialité de la langue», a résumé Darmanin.

Divergences sur la question du pouvoir législatif

Cet accord marque la fin du processus de négociation entre l’Etat et les élus corses, mais il n’est que le début d’un autre parcours, celui qui doit conduire à la modification de la Constitution. Plusieurs étapes restent à franchir sur ce chemin. D’abord, la ratification de l’accord par l’assemblée de Corse, désormais probable, mais à l’occasion de laquelle des voix dissonantes pourraient se faire entendre. «Je reste déterminé à penser que l’octroi du pouvoir législatif est un problème, mais je ne vais pas endosser le rôle du bourreau du processus», a ainsi réagi le chef de file de l’opposition aux indépendantistes à l’assemblée de Corse, Jean-Martin Mondoloni, laissant planer le doute sur son soutien au texte.

Ensuite, «l’écriture constitutionnelle prévoit […] que les électeurs inscrits sur les listes électorales de Corse soient consultés sur ce projet», a souligné Gérald Darmanin, sans préciser à quel point du processus interviendrait cette consultation ni si son résultat aurait ou non un caractère contraignant. Le large accord politique sur le projet de réforme est de bon présage, mais l’Etat connaît les risques d’une telle consultation : en 2003, un vote organisé sur la fusion des deux départements insulaires, portée par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, avait vu le projet rejeté par 51 % des votants.

Enfin, une fois le projet de loi constitutionnelle présenté par le gouvernement, restera à le faire adopter par les deux chambres séparément puis par leur réunion en congrès, à une majorité des trois cinquièmes. Il lui faudra alors surmonter l’opposition de certaines forces politiques, notamment celle de la droite sénatoriale. Le sénateur de Corse-du-Sud, Jean-Jacques Panunzi (LR), a répété être «farouchement opposé au pouvoir législatif» qui serait attribué à la collectivité. Le président du Sénat, Gérard Larcher, et du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, sont «eux aussi farouchement opposés au pouvoir législatif». Le second a estimé mardi sur X que «le projet sur la Corse revient bien à constitutionnaliser le communautarisme» et à «reconnaître la notion de peuple corse».

L’Etat et les élus corses étaient engagés depuis deux ans dans un processus visant à régler la question insulaire, après les émeutes ayant suivi dans l’île l’agression mortelle d’Yvan Colonna à la prison d’Arles en mars 2022. Les divisions du camp nationaliste sur fond de reprise des attentats du Front de libération nationale corse avaient enlisé les discussions. Tout comme les divergences de la droite insulaire sur la question du pouvoir législatif délégué à la future collectivité autonome. Le discours d’Emmanuel Macron en septembre appelant les forces insulaires à se mettre d’accord n’avait pas eu l’effet escompté. C’est finalement lors d’un dîner à Beauvau que Gérald Darmanin avait obtenu un accord de principe de la plupart des élus corses à son projet de réforme.

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