François Mitterrand, l’amoureux des livres et de la littérature, parlant de football et encensant l’Olympique de Marseille au beau milieu d’une interview du 14 juillet : la scène remonte à l’été 1993, au moment où Bernard Tapie est enferré dans l’affaire du match truqué entre l’OM et Valenciennes. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le président socialiste ne mégote pas son soutien à celui qu’il a fait éclore sur la scène politique et dont il a été le meilleur avocat pendant ses deux quinquennats.
«Moi, l’OM, je l’aime bien. C’est quand même une grande équipe qui doit en effet beaucoup à Bernard Tapie. On veut le rendre responsable – j’ignore tout quant au dossier – lorsqu’il y a quelque chose qui va mal, il faut aussi dire quand cela marche bien», insiste Mitterrand, ce qui vaut rappel à l’ordre des magistrats et qui dilue la responsabilité de l’homme d’affaires dans le scandale. Beaucoup de socialistes hoquettent, comme ils le font depuis 1988 et la mise sur orbite politique de l’homme d’affaires par leur président.
Carrière souvent contrariée
C’est Jacques Pilhan, le gourou de la communication présidentielle, qui a eu l’idée de la rencontre entre les deux hommes en bossant sur la campagne de la réélection de Mitterrand. L’heure est à l’ouverture, les ministres de la société civile sont à la mode. Bernard Tapie, repreneur d’entreprises, animateur télé et patron de club de foot, coche pas mal de cases. La rencontre a eu lieu 1987. Elle devait durer quarante-cinq minutes à l’Elysée, Bernard Tapie ressortira du palais présidentiel au bout de trois heures de discussion à bâtons rompus.
C’est le début d’une carrière politique souvent contrariée par le PS. Sur ordre du Président, il faut trouver une circonscription à Tapie pour les législatives de 1988. Les socialistes s’exécutent mais parachutent l’homme d’affaires sur la 6e des Bouches-du-Rhône, un bastion de droite. Sous l’étiquette «Majorité présidentielle», Tapie manque la victoire de 84 voix. L’élection de son adversaire RPR invalidée un an plus tard permet au patron de l’OM de s’emparer d’une circonscription réputée imprenable.
Quelques mois plus tard, il est le seul à se porter volontaire pour affronter Jean-Marie Le Pen lors du célèbre débat télévisé sur le thème de l’immigration. Sur ces terres provençales où le Front national enregistre ses meilleurs scores, Tapie fait de la lutte contre l’extrême droite son fonds de commerce électoral : si d’aucuns lui reprochent de reprendre les recettes qui ont fait le succès de Jean-Marie Le Pen et l’accusent de céder à une forme de populisme désidéologisé, le fringant quadragénaire promet de «réduire à moins de 10 % le score du Front national».
Perçu avec méfiance
Aux abois depuis la mort de Gaston Deferre, les socialistes des Bouches-du-Rhône regardent ce novice enquiller les coups de gueule sous les projecteurs. Le nom de Bernard Tapie est cité comme tête de liste départementale aux régionales de 1992. «Si ce qui est bon pour l’OM est bon pour le PS, vive l’OM !» grince le premier secrétaire du PS, Pierre Mauroy.
A la tête d’une liste Energie sud en Provence-Alpes-Côte-d’Azur lors des régionales de mars 1992, aux côtés des fidèles de la mitterrandie Jean-Louis Bianco, Elisabeth Guigou ou Léon Schwartzenberg, Bernard Tapie crée la surprise et arrive en tête dans les Bouches-du-Rhône, avec un score largement supérieur à celui que lui promettaient les sondages.
Billet
Perçu avec méfiance par une partie du PS, l’homme politique Tapie connaît la consécration dans la foulée de l’arrivée de Pierre Bérégovoy à Matignon : il est nommé ministre de la Ville… avant de devoir en démissionner moins de deux mois plus tard après une mise en examen. Blanchi par un non-lieu, il réintègre le gouvernement en décembre 1992, jusqu’aux législatives de mars 1993. «Tapie, je le connaissais très peu avant le gouvernement Bérégovoy. Je l’ai accepté, il s’est révélé un excellent ministre», feindra Mitterrand, à la fin de sa vie.
«Dernière carte»
«Barrer la route au président de moins en moins provisoire de la direction du PS en favorisant l’aventure Tapie, servie par tout ce qui reste de mitterrandistes, tel est bien le plan de l’Elysée. Le patron de l’OM est la dernière carte de François Mitterrand. Cela ne le gênera pas – au contraire – de la jouer contre ses anciens amis socialistes. Tant pis s’ils en sont outrés», écrit en 1993 Sylvie Pierre-Brossolette dans les colonnes de l’Express.
En 1994, pour les élections européennes, Bernard Tapie se rapproche du Mouvement des radicaux de gauche (MRG) et compose une liste qui va laminer les ambitions présidentielles de Michel Rocard, tête de liste socialiste. Avec Christiane Taubira, Noël Mamère et Jean-François Hory, la liste Energie radicale arrive quatrième et recueille plus de 12 % de suffrages, à peine deux points de moins que la liste PS, et devant celle conduite par Jean-Marie Le Pen (10,5 %). «J’ai été abattu par un missile nommé Tapie, tiré depuis l’Elysée», lâchera Rocard
Si l’élection hypothèque irrémédiablement les ambitions élyséennes de Michel Rocard, elle amplifie celles de Tapie, désormais présenté comme présidentiable et, quoi qu’il en soit, favori pour emporter la mairie de Marseille l’année suivante, ville où il est arrivé largement en tête avec 30% des voix aux européennes. L’affaire OM-VA l’obligera à renoncer et l’éloignera définitivement de la politique.
Hommages