Trente minutes de discours et quelques heures de débat houleux. Devant le Parlement européen, Emmanuel Macron a prononcé, mercredi à la mi-journée, son deuxième laïus en quelques semaines sur la question européenne à l’occasion du début de la présidence française de l’Union européenne (PFUE). Depuis la salle des fêtes de l’Elysée le président de la République présentait, le 9 décembre, devant la presse les grandes lignes de la PFUE.
Cette fois, à Strasbourg, le locataire de l’Elysée s’est concentré sur sa vision de l’Europe. Une Europe bâtie sur trois grandes promesses : la démocratie, le progrès, et la paix. «La tâche qui est la nôtre est de répondre en profondeur à la refondation de nos promesses» résume Macron au début de son discours. Qui plus est, dans un moment «marqué par le retour du tragique» dixit le président, faisant ainsi allusion – sans les nommer – à la crise économique, l’urgence climatique, la menace terroriste permanente.
Happening
Tout au long de son intervention – et plus encore dans le jeu d’interpellations-réponses qui a suivi avec les eurodéputés – a flotté l’ombre de la campagne présidentielle française. S’il n’est pas encore officiellement candidat à sa réélection, c’est bien un discours de précampagne qu’a esquissé Emmanuel Macron autant que le plaidoyer européen d’un chef de l’Etat. En voici les principaux points à retenir.
La démocratie
Sur sa première promesse, Emmanuel Macron l’assure d’entrée : «La présidence française de l’UE sera une présidence de promotion des valeurs.» A la tribune, le locataire de l’Elysée promet ainsi de défendre la démocratie sur le continent. «Nous sommes cette génération qui redécouvre la précarité de l’Etat de droit et de nos valeurs démocratiques», considère-t-il, promettant que «nous serons au rendez-vous du combat pour la démocratie libérale». A en croire Emmanuel Macron, les six prochains mois seront donc un combat contre «les ingérences étrangères», et pour l’Etat de droit qualifié de «trésor». Pour ce faire, le nouveau «président de l’Europe» entend faire du droit d’initiative législatif au niveau du Parlement européen une des priorités de sa présidence de l’UE.
Progrès et inscription du droit à l’IVG intégré à la Charte des droits fondamentaux
Deuxième promesse évoquée par Emmanuel Macron dans son discours, celle du «progrès». A ce sujet, «le climat est premier de ses défis», estime le chef de l’Etat. «Durant les prochaines semaines nous aurons des décisions importantes à prendre», prévient-il. «Le second défi du siècle, a poursuivi Macron, c’est celui de la révolution numérique.» Parmi les chantiers européens dans ce domaine, «le premier est de bâtir un véritable marché unique du numérique permettant de créer des géants européens», a soutenu le Président. Autre défi, celui de la régulation. Emmanuel Macron souhaite «une Europe qui sait encadrer les acteurs du numérique pour préserver l’esprit du numérique, c’est-à-dire préserver nos libertés». «Nous aurons des textes importants à parachever, dit-il, pour construire un modèle numérique européen qui organise une concurrence loyale entre les acteurs.»
Surtout, sur la question progrès, Emmanuel Macron a demandé à ce que «le droit à l’avortement soit intégré à la Charte des droits fondamentaux». Une déclaration forte représentant une réponse directe aux critiques exprimées après l’élection de Roberta Metsola, farouche opposante à l’avortement à la tête du Parlement européen. Son élection a notamment été permise grâce aux voix des députés européens de Renaissance (Renew), le groupe parlementaire européen qui comprend LREM.
Paix et nouvel ordre de sécurité et stabilité
Emmanuel Macron aborde enfin sa troisième promesse : la paix. Selon lui, le défi, est celui «de notre sécurité […] L’Europe doit s’armer, appuie ainsi le chef de l’Etat, non pas par défiance mais pour assurer son indépendance, pour ne pas subir le choix des autres». «Ces prochaines semaines doivent nous conduire à faire aboutir une proposition européenne bâtissant un nouvel ordre de sécurité et de stabilité. Nous devons le construire entre Européens, puis le partager avec nos alliés dans le cadre de l’Otan, puis ensuite le proposer à la négociation à la Russie», a développé le locataire de l’Elysée.
Comme il l’avait déjà annoncé début décembre, le Président a répété sa volonté de réformer l’espace Schengen, pour «retrouver la maîtrise de nos frontières», «lutter contre les réseaux de passeurs» et «construire une politique plus efficace pour lutter contre l’immigration irrégulière.» «Notre Europe aujourd’hui est confrontée à un dérèglement du monde, à un retour du tragique, de la guerre, a-t-il encore déclaré, tout en appelant à «retrouver ensemble une Europe puissance d’avenir, apte à répondre aux défis climatiques, numériques mais aussi géopolitiques.» Concernant la sécurité du continent, Macron assure que celle-ci passe par un «réarmement stratégique».
Une séance aux airs de campagne présidentielle
Une fois l’allocution du chef de l’Etat terminé, les eurodéputés français de tout bord se sont donné un malin plaisir à égratigner le bilan national du presque candidat Macron. «Vous resterez le Président de l’inaction climatique», a taclé le député européen Vert Yannick Jadot, par ailleurs candidat à l’élection présidentielle. Macron «champion du double discours», préférera l’insoumise Manon Aubry quand le mariniste Jordan Bardella a accusé le président de : «[Vouloir] déposséder les nations et les peuples du dernier droit qui leur reste, celui qui entre chez eux et qui doit en sortir.» En guise de réponse, l’intéressé relèvera la «capacité [de Bardella] à dire n’importe quoi aussi méthodiquement». Pendant de longues heures, le chef de l’Etat tentera de répondre point par point aux attaques de ses adversaires tout en lâchant, sarcastique : «Vous avez dit “la présidence française de l’UE ne doit pas être un marchepied électoral”. Je pense que vous avez tout à fait raison. Je le dis à plusieurs ici : vous avez eu raison de ne pas le faire.»