C’est l’exercice dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom chez Les Républicains. La primaire ? «Si on en refait une, ce n’est même pas la peine d’y aller ! C’est une machine à perdre», lâche Laurence Sailliet, ancienne porte-parole du parti et soutien de Laurent Wauquiez. Le chef des députés LR, candidat à la présidence du parti les 17 et 18 mai prochain, a fait de cet objet politique un de ses angles d’attaque favoris face à son rival, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. «Je suis contre la primaire. La primaire est un poison, une machine à divisions, certifiait-il, ton grave, mercredi 19 mars sur CNews. Bruno Retailleau et ses soutiens sont très favorables à la primaire, moi non.»
Pour celui qui joue le challenger dans ce scrutin interne, drapé dans le costume du candidat des adhérents face au chouchou des élus, c’est du tout cuit. A l’entendre, son adversaire serait prisonnier de ses soutiens : le président des Hauts-de-France Xavier Bertrand, le maire de Cannes David Lisnard, celui de Meaux Jean-François Copé ou le patron du Sénat Gérard Larcher. «Le lendemain de l’élection, Retailleau aura des mecs dans son bureau pour lui demander la primaire», prévient un de ses proches. Parmi eux, certains prétendants à l’Elysée – comme Bertrand et Lisnard – réclament en effet une primaire pour départager les candidats à l’Elysée.
S’en remettre aux adhérents
Dans son couloir, Retailleau évite de trop s’épancher sur l’équation. «Je ne m’embarrasserai pas avec ce genre de questions que je n’ai pas résolues au moment où je vous en parle», éludait-il sur France Inter, le 12 février, au moment de déclarer sa candidature. Une pirouette. Son entourage précise aujourd’hui : «On demandera aux adhérents de trancher le mode de désignation.» Un vote sur un vote en quelque sorte… Officiellement, aucun des deux candidats ne lie le scrutin du printemps à la désignation du candidat LR pour 2027. Les deux camps savent pourtant que celui qui mettra la main sur l’appareil posera une sérieuse option pour se lancer dans la course à l’Elysée. S’il cogne contre la primaire, Wauquiez ne dit pourtant pas autre chose que son concurrent : aux adhérents de «choisir le mode de désignation [du candidat]», dixit un proche du député de Haute-Loire.
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L’article 37 des statuts du parti indique que le candidat à la présidence de la République «soutenu par le mouvement» est désigné par un vote «réservé aux adhérents» à jour de cotisation quinze jours avant le scrutin et «réunis avant le congrès». «Un congrès, c’est des adhérents. Ça revient au même qu’une primaire», souligne un conseiller LR. L’ouverture à «l’ensemble des citoyens partageant les valeurs républicaines de la droite et du centre», comme le prévoyait la primaire de 2016, élargirait toutefois le corps électoral. Cette année-là, près de 4,4 millions de votants avaient choisi François Fillon, face à Alain Juppé, au second tour du scrutin. Pour Emilien Houard-Vial, doctorant au Centre d’études européennes et de politique comparée (CEE) de Sciences Po, «la primaire a ses avantages». «Elle ramène de l’intérêt sur la campagne du candidat, de la légitimité populaire, de l’argent pour le parti, rappelle-t-il. Ça permet aussi de trancher un conflit entre des personnalités politiques au capital politique similaire.»
«Fillon perd parce qu’il part au ski au lieu de bosser»
Chez LR, beaucoup voient pourtant dans cet exercice la cause de la défaite de l’ancien Premier ministre, puis la déroute de Valérie Pécresse en 2022. «J’ai trop vu les dégâts qu’elle a faits et la droite en a payé le prix fort», défendait ainsi Wauquiez en février auprès du Figaro. «Fillon perd parce qu’il part au ski au lieu de bosser», s’étouffe un député LR, en allusion aux quelques jours de vacances à Val-d’Isère que s’était accordé le candidat après sa victoire… Un soutien de Wauquiez disserte dans le même sens : «En 2017, ce n’est pas la primaire qui a conduit à l’échec, c’est la suite de la primaire. Mais en politique, c’est la perception qui compte. Pas la réalité. Et la perception, chez les militants LR, c’est que la primaire est maudite. Dont acte.» «La primaire individualise la construction du programme, analyse de son côté Emilien Houard-Vial. Chacun va essayer de trouver ses petits termes. Ça fait du parti un lieu de sélection et de distribution de ressources mais pas un lieu de fonctionnement collectif.»
Le sujet avait de nouveau agité le parti en amont de la dernière présidentielle. A l’époque, le président du parti, Christian Jacob, repoussait l’heure du choix, espérant qu’un candidat s’impose naturellement – et qu’un de ses proches amis, François Baroin, se décide à tenter l’aventure. En vain. Cocasserie de l’histoire, en juillet 2021, Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Bruno Retailleau et Hervé Morin s’étaient même fendus d’une tribune au Figaro pour réclamer une primaire ouverte de la droite et du centre.
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Sur ce créneau, les ambitions éclosent déjà pour 2027. Le maire du Havre et patron d’Horizons, Edouard Philippe, a officialisé sa candidature en septembre. Un autre ex-Premier ministre, Gabriel Attal, cultive la même envie à la tête de Renaissance. A Matignon, François Bayrou se sent pousser des ailes. Son ministre de la Justice, Gérald Darmanin, jouerait bien aussi le jeu d’une primaire… Depuis son départ de Matignon, l’architecte de l’éphémère «socle commun» entre ces chapelles, Michel Barnier, œuvre également pour une candidature commune entre son parti, LR, et les autres composantes de l’exécutif. «Je ne vois pas d’alternative à la primaire, à moins que quelqu’un soit très haut dans les sondages», prévient un député LR, soutien de Retailleau. Et l’écurie de Wauquiez de poser un constat similaire : «Soit un candidat naturel s’impose, soit on aura une primaire.»