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Droite

Chez LR, les jeunes vétérans de «l’alliance rebelle» anti-Ciotti

Collaborateurs d’Eric Ciotti, ils se sont opposés à lui après son alliance avec l’extrême droite, pour l’empêcher de garder la main sur LR. Dispersée mais soudée, la petite bande a pris des notes et brode son épopée.
Lors des états généraux de la droite, à Paris, en avril 2023. (Karim Daher/Hans Lucas)
publié le 8 novembre 2024 à 7h51

Le cabinet est presque au complet. En costumes cintrés ou en robe noire, ils sont quatre, fin mai, sur la Croisette, à Cannes. Invitée au Festival, la garde rapprochée d’Eric Ciotti profite du moment dans l’ombre du président des Républicains (LR) qui, sur le tapis rouge, est photographié avec l’une de ses filles. Publié sur Instagram, le cliché de la petite équipe est relayé par un jeune militant LR. Une dolce vita déplacée, à quinze jours des européennes, scrutin de tous les dangers pour le parti de droite ? Du vent, balayent alors les intéressés, indiquant avoir payé de leurs poches billets de train et hôtel. Pas de quoi embarrasser leur patron, pour qui ces trentenaires ne comptent pas leurs heures, entre Paris et Nice, week-end et jours fériés compris.

Fidèle à toute épreuve, ce cercle de conseillers de l’ombre, petites mains de la logistique et communicants, l’a été jusqu’à la rupture, mardi 11 juin. A la minute où Ciotti a annoncé son alliance avec le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, les mêmes collaborateurs sont entrés en résistance contre lui et l’ont empêché, juridiquement et politiquement, de mettre la main sur la formation gaulliste. Presque cinq mois plus tard, personne dans cette ancienne équipe n’a digéré ce qu’ils considèrent comme une trahison : «Il a agi comme un dictateur soviétique, remâche l’un d’eux. La droite a certes un côté bonapartiste, mais il y a des limites.» La petite bande a beau avoir été éparpillée aux quatre vents par l’épisode, ses membres se voient encore, dînent ensemble, échangent presque quotidiennement. Tous ont pris des notes pour se souvenir de ces journées. Et broder leur propre légende, celle d’une petite escouade résistant au coup de force ciottiste – et soucieuse d’«éviter que certains ne cueillent des lauriers qu’ils ne méritent pas», selon un ancien collaborateur du cabinet.

Dès le soir du 11 juin, «on commence à mettre en place la résistance»

Ancienne directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Emmanuelle Mignon, 56 ans aujourd’hui, avait accepté de replonger dans le bain politique à l’automne 2023. Ciotti l’avait nommée vice-présidente et donné la charge de plancher sur les idées et le projet pour 2027. Le retour de cette major de l’ENA, l’une des chevilles ouvrières de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007, suscite alors de l’espoir à droite. Dans l’ombre, Mignon phosphore, consulte, tente de mobiliser son vaste réseau dans l’appareil d’Etat. A ses côtés, au siège, bosse un autre conseiller d’Etat, 34 ans, énarque lui aussi : Aurélien Caron. Nommé directeur des études début 2024, cet Amiénois planche sur le renouvellement du logiciel idéologique, persuadé que la droite, indépendante, peut se relever de ses revers électoraux.

La direction du cabinet a été confiée à un autre trentenaire, Karl Astié. Ce diplômé de Sciences Po est de tous les déplacements, de toutes les réunions du patron de la droite. Agenda, courrier, organisation des déplacements : Quentin Kermen, 25 ans, s’occupe, lui, de l’intendance. Ciotti avait embauché cet ancien militant du syndicat étudiant de droite UNI à la questure de l’Assemblée, avant d’en faire son chef de cabinet au parti. Les relations avec la presse sont confiées au Niçois Benjamin Millo, 25 ans lui aussi. A sa garde rapprochée, l’ex-patron des LR avait aussi intégré en mars une autre tête bien faite de Sciences Po, Caroline Gentilhomme, 30 ans. Passée par le cabinet de conseil Ernst & Young, elle l’alimente alors en notes et argumentaires. Ce sont ces quatre-là qui posaient à Cannes. Aucun d’eux n’a suivi Ciotti dans son ralliement au lepénisme.

Dès le soir du 11 juin, «on commence à mettre en place la résistance, raconte un ancien de l’équipe. C’est l’alliance rebelle dans Star Wars !» Sur la boucle WhatsApp des journalistes, Benjamin Millo annonce quitter ses fonctions. Karl Astié, Caroline Gentilhomme et Aurélien Caron lui emboîtent le pas. Quant à Emmanuelle Mignon, elle dénonce auprès de Mediapart le «choix du déshonneur» fait par Ciotti. «Au départ, Ciotti voulait faire une OPA sur le parti, se souvient l’un d’eux. On se retrouve avec un dingue, enfermé dans le cockpit, qui menace de crasher l’avion avec des passagers derrière.» L’urgence ? Convoquer un bureau politique, l’instance décisionnelle du mouvement. «C’est purement politique, rembobine le même ancien conseiller. On sait qu’on n’est pas dans les clous. Mais la France doit savoir qu’on ne le soutient pas. […] Dès la première semaine, on sait qu’il est cuit.»

«Ciotti nous a coûté cher»

Le vendredi 14 juin, pourtant, Ciotti gagne son recours en référé. Il est toujours, légalement, président des Républicains. Dans son ancienne équipe, ça flippe. S’il débarque au siège avec des huissiers, vire les salariés, impose un directeur général, il peut s’emparer du navire, de ses ressources financières et de ses moyens de communication. Le trio Mignon-Caron-Astié s’active sur le plan juridique. «Comme de Gaulle en 1940, on sort de la légalité, rapporte avec grandiloquence un ancien collaborateur. On a organisé le fait que Ciotti soit empêché dans son propre parti.» Le Niçois, lui, est peu entouré. Sur le plan judiciaire, un avocat d’affaires l’appuie : Philippe Torre, candidat malheureux pour le RN aux législatives dans l’Aisne. Son chef de cabinet, Quentin Kermen, a fini par le lâcher à son tour au début de l’été.

A la guerre de mouvement de juin, succède une guerre de tranchées en juillet. Seul contre les barons, Ciotti joue la carte de la base militante. Ses adversaires, eux, n’ont pas les moyens légaux de convoquer les instances et d’acter son éviction. Financièrement, le Niçois a encore un pouvoir d’empêchement. «Il a bloqué les aides pour les candidats», rapporte un cadre LR, ajoutant que Ciotti a réclamé auprès de la banque du parti de couper les règlements des factures d’eau et d’électricité, et les salaires des permanents.

Son ancienne garde rapprochée prépare, elle, la riposte judiciaire. Un chiffrage du préjudice causé par l’alliance avec le RN est effectué, des dommages et intérêts réclamés. «C’était l’étape suivante s’il ne lâchait pas le morceau, indique un ancien proche collaborateur. Il n’avait pas d’intérêt politique à rester, et se doutait qu’il avait commis une succession de fautes depuis le 11 juin.» Fin septembre, après la nomination de Michel Barnier à Matignon, Ciotti finit par quitter LR, prenant «acte de la dissolution de l’état-major des Républicains dans la macronie». «Il a fini par lâcher sous la pression», se targue un ancien de l’équipe. Qui ajoute : «Ciotti nous a coûté cher. Des aides à nos candidats, des élus, un préjudice d’image.» Sans compter les honoraires lâchés par le parti au cabinet d’avocats Darrois, l’un des plus gros de la capitale.

Attachés à ce récit d’un clan soudé organisant l’insurrection, les anciens proches de Ciotti n’ont pas encore trouvé leur place dans l’appareil, en lambeaux mais lorgné par Laurent Wauquiez, élu député de Haute-Loire en juillet. Certains ont envie de tourner une page, aimeraient tenter une expérience dans le privé, comme Quentin Kermen. L’avocate Emmanuelle Mignon travaille toujours chez August Debouzy, un prestigieux cabinet d’affaires. «Sans elle, Ciotti récupérait le parti en quarante-huit heures et l’offrait à Le Pen», s’ébaubit encore un ancien conseiller. Aurélien Caron est retourné, lui, à la section des finances du Conseil d’Etat. D’autres goûtent au pouvoir retrouvé par la droite et font leurs armes dans des cabinets ministériels. A Beauvau, Karl Astié a été recruté comme conseiller parlementaire de Nicolas Daragon, ministre chargé de la Sécurité du quotidien. Caroline Gentilhomme, elle, est conseillère auprès du secrétaire d’Etat chargé de la Citoyenneté, Othman Nasrou. En attendant Godot… ou une autre aventure.