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Chacun sa voix

Chute du gouvernement Bayrou : pour le RN et LFI, le salut vient des urnes

Si le parti d’extrême droite privilégie une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, les insoumis plaident pour la démission ou la destitution d’Emmanuel Macron, en vue d’une élection présidentielle anticipée. Une option inenvisageable pour Marine Le Pen, qui espère échapper en appel, début 2026, à sa peine d’inéligibilité.

Marine Le Pen à l'Assemblée nationale, le 8 septembre 2025. (Denis Allard/Libération)
ParNicolas Massol
Sacha Nelken
Journaliste - Politique
Publié le 08/09/2025 à 21h27

Ces dernières années, Bruno Gollnisch a pris une habitude : chaque fois qu’un gouvernement s’apprête à tomber, l’ancien numéro 2 du Front national se paie un bon déjeuner au restaurant de l’Assemblée nationale, y tache presque immanquablement sa cravate, puis va écouter les discours en tribunes de l’hémicycle. Cela fait remonter des souvenirs : quand il était député lepéniste, entre 1986 et 1988, son groupe parlementaire avait refusé de voter la confiance à Jacques Chirac. Ce lundi 8 septembre encore, Gollnisch en a eu pour son argent : la fille de Jean-Marie Le Pen, non contente de contribuer à la chute de François Bayrou, en a profité pour appeler longuement à la dissolution de l’Assemblée. «A quoi bon maintenir un gouvernement qui ne gouverne pas ?» a-t-elle très vite balayé avant d’asséner que «la dissolution n’est pas une option mais une obligation». «L’alternance n’est pas un gros mot, c’est une respiration normale de la démocratie», a-t-elle martelé, en rejetant la responsabilité du désordre sur les autres forces politiques : «Dirigeants de droite comme de gauche, vous êtes coupables.»

Déjà en campagne, Marine Le Pen s’est lancée dans l’intense pilonnage du front républicain, qui, en 2024, aurait selon elle contribué à «fausser le fait majoritaire qui se dessinait». La députée du Pas-de-Calais espère ainsi rendre possible l’obtention d’une majorité absolue, seul cas de figure dans lequel son parti accepterait de se rendre à Matignon, a-t-elle encore répété à la tribune. Elle-même a peu d’espoir de faire partie du convoi : condamnée en première instance à cinq ans d’inéligibilité avec exécution immédiate, elle ne pourra très certainement pas se représenter à son mandat. Qu’importe : «Je suis prête à sacrifier tous les mandats de la Terre», a-t-elle prévenu la veille, lors de sa rentrée à Hénin-Beaumont.

A y regarder de plus près, l’attitude du RN sur la dissolution est ambivalente. D’un côté, l’extrême droite considère le retour aux urnes comme urgent et répète que seule l’alternance pourra sortir la France de sa situation dramatique. Mais de l’autre, ses cadres se défendent de toute «censure pavlovienne», selon l’expression de Sébastien Chenu, c’est-à-dire d’entrée de jeu, ce qui permettrait d’accélérer une dissolution. Paradoxal.

«Forcené de l’Elysée»

Si le Rassemblement national est le seul parti à appeler clairement à une dissolution de l’Assemblée nationale, les insoumis, eux, disent ne pas craindre un tel scénario. Conscient que le chef de l’Etat peut utiliser cet outil à tout moment, le mouvement mélenchoniste se prépare à repartir en campagne depuis un moment déjà. «On a fait le travail d’anticipation nécessaire», explique la direction mélenchoniste. A savoir «brosser les investitures» et commencer à préparer les tracts et les affiches.

Toutefois, si l’Assemblée venait à être dissoute, une autre question se poserait forcément à gauche : celle des potentielles alliances. Tout un programme compte tenu des relations tendues entre insoumis et socialistes. «En cas de dissolution, notre responsabilité est de proposer des candidatures porteuses d’un programme de rupture pour gouverner le pays, pas de conclure des accords défensifs sans programme visant à sauver les sièges du PS à l’Assemblée, prévient le coordinateur de LFI, Manuel Bompard. Nous voulons changer la vie des gens, pas préserver des intérêts de boutique.»

Mais en réalité, les insoumis ne visent qu’un autre scrutin : la présidentielle. Le départ de François Bayrou désormais officialisé après le vote de confiance de ce lundi, le mouvement mélenchoniste a décidé de mettre la focale sur Emmanuel Macron en l’intimant de mettre un terme à son mandat avant 2027 puisqu’il serait l’unique responsable du blocage. «A présent, il ne reste plus beaucoup d’options au forcené de l’Elysée. Le Président ne souhaite pas changer de politique ? Alors il nous faudra changer de Président», a ainsi scandé la présidente du groupe LFI à l’Assemblée, Mathilde Panot, ce lundi. «On aurait alors la perspective de changer de Constitution pour empêcher les abus de pouvoir de la monarchie présidentielle et des privilégiés», explique Jean-Luc Mélenchon dans une interview au Parisien parue ce même jour.

«Le 10, on bloque Macron»

Même si le chef de l’Etat a d’ores et déjà exclu un tel scénario, LFI compte sur la journée de mobilisation du 10 septembre pour faire monter la pression. «Le 10, on bloque Macron», martèlent-ils donc sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision, affirmant que l’idée ferait son chemin dans le pays. Et puisque les insoumis ont plus d’un tour dans leur sac, ils promettent également de déposer dès ce mardi 9 septembre à l’Assemblée nationale une motion de destitution. Une procédure censée pousser un Président à quitter l’Elysée en cas «manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat», mais qui, dans le cas présent, n’a aucune chance d’aboutir au vu de la réticence des autres partis politiques, dont la plupart sont loin d’être prêts pour une présidentielle anticipée.

Les insoumis ne pourront en tout cas pas compter sur les voix du RN. Certes, Marine Le Pen appelle de ses vœux le départ de Macron. «Le vrai reset serait la démission du Président mais cette décision ne dépend que de lui, je ne m’attends à rien sur ce point, consciente que n’est pas le général de Gaulle qui veut», a-t-elle ironisé lundi dans son discours. Pas question pour autant d’appeler «à la destitution d’un pouvoir failli qu’ils [les insoumis] ont appelé deux fois au pouvoir en toute connaissance de cause», a-t-elle encore cinglé. Son propre calendrier judiciaire ne l’y pousse pas non plus : lundi, la leader d’extrême droite a appris que son procès en appel se tiendrait du 13 janvier au 12 février 2026. Ce qui lui permettra d’être définitivement fixée sur son sort avant la présidentielle de 2027. D’où une certaine propension, comme pour la dissolution, à réclamer de toute urgence, mais pas trop vite, un retour aux urnes.