Mardi matin, au lendemain du rejet historique du projet de loi immigration par l’Assemblée nationale, la réunion des députés Renaissance prend des airs de thérapie collective. L’élu de Paris, Gilles Le Gendre, met en garde ses collègues contre un «lent délitement du macronisme». Une intervention ponctuée par une salve d’applaudissements, pile au moment où les ministres de l’Intérieur et du Travail, Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, entrent dans la salle. «Tout à l’heure, je n’applaudissais pas Gilles, j’applaudissais les ministres», prendra soin de préciser quelques minutes plus tard son collègue Robin Reda, ex-Les Républicains (LR). «Je ne sais pas trop s’il charriait ou s’il était sérieux», raconte une témoin de la scène. «Ça se tend à tous les étages», constate un autre.
«Ils devraient assumer leur positionnement de droite»
Le «en même temps», ce dépassement des clivages revendiqué en 2017 par Emmanuel Macron survivra-t-il à la loi immigration ? L’aile droite de la majorité, Bruno Le Maire en tête, ne se fait pas prier pour trouver un compromis avec les obsessions droitières de LR. Leurs collègues sociaux-démocrates craignent que le gouvernement noue un accord inacceptable avec le Sénat, à majorité de droite et du centre. Et si la réforme finissait par passer contre l’avis du Modem et de l’aile gauche de Renaissance ? «Sur un sujet à la portée aussi symbolique, si des voix de LR et du Rassemblement national venaient suppléer celles de la majorité, cela enverrait un message désastreux», alerte Le Gendre auprès de Libération. «Je pense sincèrement que le président de la République n’est pas prêt à lâcher sur le dépassement, ni prêt à prendre le risque de mettre à mal sa majorité, tente de se rassurer un ministre issu du Parti socialiste. Les LR ont montré depuis le début qu’ils n’étaient pas à l’heure des grands rendez-vous.» L’entourage du Président affirme qu’il n’a en rien renoncé au dépassement, malgré des deals fréquents avec la droite : «Sur le fond, il y a des consensus évidents à trouver des deux côtés de l’échiquier, par exemple sur la transition écologique et le travail. Le “en même temps” n’est pas du tout fini. Il faut trouver beaucoup plus de consensus en amont qu’au moment du vote.»
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Gilles Le Gendre n’en reste pas moins inquiet depuis des mois de la mauvaise pente prise par le macronisme. Une incapacité persistante à rassurer les Français sur l’efficacité des politiques publiques, un barycentre de la majorité qui se déporte vers la droite… «Nous sommes en train d’accélérer ce délitement avec un brouillage autour de la philosophie initiale du macronisme : l’humanisme, le libéralisme, pas seulement au sens économique, l’altérité et l’émancipation de l’individu. Nous risquons de nous rabougrir dans un repli sécuritaire, décrit l’ancien président du groupe. Aurions-nous fait applaudir Emmanuel Macron dans un meeting en 2017 pour l’uniforme au collège et au lycée ou la police des familles ? A un moment, il faut revenir aux fondamentaux !» La gauche qui n’a jamais cédé aux sirènes du macronisme entend lui faire un sort avec la loi immigration. «Ça montre qu’il n’y a pas d’en même temps, estime la présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, Cyrielle Chatelain. Ils devraient assumer leur positionnement de droite et construire une coalition avec la droite. Au moins, ce serait plus clair !»
«Macron entre peu à peu en cohabitation»
Le week-end dernier, la rupture de Daniel Cohn-Bendit avec Emmanuel Macron, officialisé dans le Monde, a jeté un froid. «Ça m’a fait penser à la sortie de Pierre Rosanvallon», souffle un conseiller de l’Elysée, en référence à la petite déflagration provoquée au printemps par le réquisitoire de cet intellectuel modéré contre Emmanuel Macron. «Si je me retourne et je dis : “OK, c’est le centre droit qui est donc au pouvoir.” Mais alors où est la gauche ? Et là, je suis effondré», se lamente Cohn-Bendit. «Quand vous avez des historiques, des gens arrivés avant le premier tour de 2017, aux positions très tempérées, qui disent qu’ils ne se sentent plus en phase avec le début, il faut s’interroger», note un ancien dirigeant de La République en marche. «Emmanuel Macron a passé le point d’inflexion, comme on dit en géométrie. Il ne peut plus surfer sur le “en même temps”, il est obligé de basculer avec cette loi immigration et de composer en permanence avec la droite. Il entre peu à peu en cohabitation, regrette le conseiller en communication Robert Zarader, anciennement proche du Président. Il est en train de perdre la propriété de ses réformes. Pour l’instant, il est en colocation. Bientôt il sera un résident de passage. Il a inventé l’Airbnb présidentiel.» Combien d’électeurs de gauche ont encore envie d’y louer une chambre ?