Un ministère coupé en deux. Pour Brigitte Bourguignon, issue de la gauche, la Santé et la Prévention. Pour son colocataire, Damien Abad, venu de la droite, les Solidarités – et le «pognon de dingue» des prestations sociales qui va avec – l’Autonomie et les Personnes handicapées. Mais vu la charge de travail que son prédécesseur, Olivier Véran, a dû avaler avec les vagues de Covid et le feu social dans des hôpitaux et services d’urgences déjà en crise avant la pandémie, Brigitte Bourguignon ne devrait pas s’ennuyer avec «seulement» la Santé dans son portefeuille avenue Duquesne. Déjà familière de ce ministère – elle était jusqu’ici chargée de l’Autonomie, donc des questions liées au grand âge dans le gouvernement de Jean Castex – la nouvelle ministre de la Santé a été accueillie cette semaine par un premier mouvement de contestation, mardi, à Paris et dans une cinquantaine de villes. «Soignants débordés», «services d’urgence qui ferment cet été»… Brigitte Bourguignon va devoir contenir la contestation d’un secteur à bout. «Je reconnais les grandes tensions qui traversent le secteur de la santé pour des raisons conjoncturelles profondes», dit-elle.
«Damage control»
Comme Emmanuel Macron depuis l’Elysée et Elisabeth Borne à Matignon, Bourguignon insiste sur la «méthode» qu’elle souhaite mettre en place à Ségur, faite de «dialogue» et de «transparence» avec l’ensemble des acteurs du monde médical et hospitalier. «Celle déployée dans mes précédentes fonctions», dit-elle. Mais pandémie oblige, elle n’a pas pu aller jusqu’à la «grande réforme» pour les personnes âgées promise par le chef de l’Etat et espérée par l’aile gauche de la majorité. Question calendrier, Bourguignon attend les conclusions de la «mission flash» sur l’hôpital annoncée fin mai par Macron lors d’un déplacement à Cherbourg (Manche). Les résultats de cette mission sont attendus d’ici la fin du mois de juin. Elle doit fournir, dit-on au ministère, «une boîte à outils» pour lancer ensuite une «conférence des parties prenantes» destinée, «en concertation territorialisée», à réussir à mettre en place un «continuum de service public»… Au risque de faire lanterner des soignants en burn-out qui demandent des moyens rapidement ?
La ministre a déjà annoncé mercredi une série de première mesures au congrès des urgences. Bourguignon a promis «de réactiver le doublement de la rémunération des heures supplémentaires du personnel non médical, et du temps de travail additionnel des médecins, pour l’ensemble de la période estivale» et «un dispositif exceptionnel» pour que «les élèves infirmiers et aides-soignants ayant achevé leur formation initiale en juin et juillet [puissent] commencer à exercer immédiatement, sans attendre la remise officielle de leur diplôme». Cet été, les soignants retraités «volontaires pour reprendre une activité» pourront cumuler plus facilement une rémunération avec leur pension. Les agences régionales de santé (ARS) ont été appelées à «remobiliser les dispositifs territoriaux de gestion de crise». D’autres mesures seront préconisées par la «mission flash» à la fin du mois.
«On est dans une mission de damage control, terme qu’on utilise pour les blessés graves, pour passer l’été, a expliqué mardi devant les sénateurs le président de Samu-Urgences de France, François Braun, pilote désigné par le chef de l’Etat pour mener à bien cette mission d’un mois. On ne va pas rédiger un rapport. Notre objectif est d’identifier quelques traitements à court terme assortis d’une petite notice explicative sur les effets attendus, de sorte à pouvoir en faire l’évaluation dans les deux mois.» Auditionné par la commission des affaires sociales du Sénat, Braun précise : «La problématique aux urgences de Toulouse n’est pas la même qu’à celles de Cherbourg. Notre prétention est de construire une boîte à outils contenant des solutions à proposer très vite aux territoires pour qu’ils arrivent à passer cette période [estivale].» Et pour la suite ? A son ministère, on rappelle que le Ségur de la Santé, bouclé par Olivier Véran, a remis dans le système 19 milliards d’euros mais on insiste sur le besoin de «partir des besoins réels avant de parler de nouveaux investissements». «Je n’accepterai ni l’instrumentalisation politique ni que l’on fasse croire aux Français que, partout, le système s’effondre. Ce serait méconnaître les efforts de tous sur le terrain», a-t-elle lancé mercredi au congrès des urgences à Paris. De quoi énerver passablement ses futurs interlocuteurs pour les prochaines «concertations»...
Contrebalancer l’aile droite
Ancienne présidente de la commission des Affaires sociales, Bourguignon est censée, en ce début de quinquennat, incarner une partie de l’aile sociale de ce nouveau gouvernement. Certes, elle remplace à ce poste un autre transfuge du Parti socialiste. Mais aspiré par la gestion du Covid, Véran n’a jamais réussi à contrebalancer à lui seul «l’aile droite» des précédents gouvernements Philippe puis Castex. Toujours «vigilante» sur le front de la pandémie avec l’apparition de nouveaux sous-lignages d’omicron (BA.4 et BA.5), Bourguignon pourra-t-elle profiter de cette accalmie pour imprimer une marque «sociale» sur les débuts du gouvernement Borne ? En tout cas, la présence d’anciens socialistes à des ministères clés comme Olivier Dussopt au Travail ou de Gabriel Attal aux Comptes publics pourrait permettre de contrebalancer le poids important de Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, restés à Bercy et Beauvau, mais promus dans le rang protocolaire. Et aider Macron à afficher la «réforme sociale» souvent promise mais jamais réalisée.
Mise à jour jeudi à 7h30 : ajout des annonces de Brigitte Bourguignon au congrès urgences