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Aux aguets

Condamnation possible de Marine Le Pen : le camp Macron dans l’expectative

Affaire des assistants: le RN en procèsdossier
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Les soutiens du chef de l’Etat et l’entourage du Premier ministre sont conscients qu’une inéligibilité immédiate de la patronne du RN rebattrait les cartes pour 2027. Mais ils redoutent, aussi, les critiques de la justice qui résulteraient d’un tel jugement.
Marine Le Pen au palais de justice à Paris, le 14 octobre 2024. (Denis Allard/Libération)
publié le 30 mars 2025 à 6h50

Le niveau de langue de bois est-il proportionnel à l’appréhension ? Si c’est le cas, la décision du tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire des assistants parlementaires du RN est attendue avec une angoisse certaine par le camp présidentiel. «La justice fait son travail», esquive-t-on à l’Elysée, à propos de l’hypothèse d’une exécution provisoire de la peine de cinq ans d’inéligibilité requise contre Marine Le Pen, donc d’une application immédiate, sans attendre la décision en appel. «On ne rythme pas notre action en fonction de ce genre d’actualité», élude un proche conseiller de François Bayrou. Comme si chacun n’était pas en train de jauger les conséquences pour le gouvernement d’un verdict défavorable à la patronne du RN.

«Est-ce que ça provoquerait une motion de censure ? Ce serait trop grossier, anticipe un dirigeant du Modem. Est-ce que ça déstabiliserait les choses ? Probablement.» A la mi-novembre, les réquisitions sévères du parquet contre Le Pen ont précédé de quelques semaines la chute de Michel Barnier. Le RN s’était raidi dans la dernière ligne droite budgétaire, invoquant le déremboursement des médicaments et un gel partiel des pensions de retraite. Opposition farouche à des mesures impopulaires ou volonté de provoquer une crise politique pour convenance personnelle ? Les macronistes notent depuis quelques semaines un durcissement similaire du RN.

«Personne n’a besoin de raison pour voter la censure»

«Bayrou, il commence à m’énerver», a lâché Le Pen au Figaro Magazine en marge d’un déplacement au Tchad mi-mars. La députée du Pas-de-Calais s’oppose à la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie, prévoyant près de 37 milliards d’euros pour le raccordement des fermes éoliennes offshore. Un casus belli pour le RN, accusant le gouvernement d’acter par décret et sans débat au Parlement un affaiblissement de la filière nucléaire française. «Opposer l’éolien au nucléaire, je ne suis pas sûre que ça parle à tout le monde», ironise une ministre. «Personne n’a besoin de raison pour voter la censure, ou toutes les raisons sont bonnes, soupire une dirigeante du Modem, actant la fragilité d’un gouvernement minoritaire à l’Assemblée. Si, pour des raisons politiciennes ou liées à 2027, certains appuient sur le bouton… bon, voilà.» Un proche d’Emmanuel Macron se rassure en notant que le rapport de force est cette fois moins favorable au RN, qui ne peut plus à lui seul décider de la censure : «L’objet de la nomination de François Bayrou était de desserrer l’étau des extrêmes. Désormais, le PS compte plus que le RN.»

Au-delà du sort de Bayrou, c’est une déstabilisation trumpiste de l’institution judiciaire qui inquiète. «Ça peut être un séisme politique, s’inquiète une députée Horizons. Le procès de la justice prendra dans l’opinion publique.» D’autant qu’il a été alimenté préventivement par le garde des Sceaux et le Premier ministre. En novembre, alors simple député, Gérald Darmanin avait jugé «choquant» que Le Pen «ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français», invitant à ne pas «creuser, encore plus, la différence entre les “élites” et l’immense majorité de nos concitoyens». Manière assez peu subtile de draguer l’électorat du RN. Le ministre de la Justice a persisté sur BFMTV le 23 novembre : «De manière générale je ne regrette pas mes propos passés.» Le – mauvais – exemple vient de haut. François Bayou lui-même a jugé en janvier sur LCI «très dérangeant que des jugements soient prononcés sans qu’on puisse faire appel». De quoi désespérer ceux, de plus en plus rares, qui restent attachés à la séparation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. Ce qui, pour la députée Horizons précédemment citée, se résume d’une formule : «Tout se perd en politique.»