Ira-t-il, comme son prédécesseur Gabriel Attal, déclarer sa flamme aux agriculteurs, les pages de son discours posées sur une botte de paille en guise de pupitre ? Dix mois après la crise qui a secoué le monde paysan, Michel Barnier et ses ministres en scrutent avec appréhension les possibles répliques, alors que l’alliance syndicale majoritaire FNSEA-JA appelle ses troupes à manifester ce lundi 18 novembre. «C’est le sujet merdique et hypersensible de la semaine, on surveille de près», «c’est regardé avec une grande vigilance», reconnaît-on dans les cabinets ministériels, déjà tourmentés par des plans de licenciement en série dans l’industrie et la grande distribution, et par la menace d’un bouillonnement social. Si la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a trouvé, en s’installant rue de Varenne, un projet de loi et nombre d’annonces laissés en jachère durant la longue vacance du pouvoir post-dissolution, l’exécutif doit surtout engager un bras de fer européen pour tenter de faire capoter la signature de l’accord commercial entre les 27 pays de l’UE et ceux du Mercosur (en Amérique du Sud), bête noire des éleveurs français.
Explosif «dossier Mercosur»
C’est d’abord depuis Bruxelles, le 13 novembre, que le Premier ministre a voulu délivrer un message de «solidarité» au «monde agricole» que la perspective d’un tel traité «inquiète beaucoup, à juste titre». A la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, il a rappelé que «dans les conditions actuelles cet accord n’était pas acceptable» et recommandé «qu’on ne passe pas outre la position d’un pays comme la France». L’affaire a-t-elle rappelé à Barnier ses années au ministère de l’Agriculture (2007-2009, dans le gouvernement de François Fillon), quand, en pleine crise autour du prix du lait, il ferraillait contre la levée des quotas voulue par Bruxelles ? Dans un entretien à Ouest-France, vendredi, Barnier a redit que le traité de libre-échange, en discussion depuis plus de vingt ans, «ne doit pas être conclu dans la précipitation. Et pas sur la base du texte actuel.»
Soucieux de déminer l’explosif «dossier Mercosur», les ministres se sont relayés pour affirmer leur «opposition absolue à ce traité qui mettrait en péril nos éleveurs», selon la porte-parole Maud Bregeon, un accord qui «verrait déferler sur nos marchés des quantités astronomiques de produits de bœuf, volaille, éthanol» latino-américains et, par cette concurrence jugée déloyale, «déstabiliserait profondément nos filières», s’alarme Annie Genevard. «Nous sommes mobilisés sur tous les fronts», garantit le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, listant les conditions posées, en vain à ce stade, par la France : conformité à l’accord de Paris sur le climat, instauration de clauses miroirs en matière environnementale et sanitaire (qui imposeraient aux importations les mêmes règles de production que sur le sol français), refus de la déforestation importée, soit la venue de produits provenant de terres déboisées.
«Hypocrisie» du tandem Barnier-Macron
Au gouvernement, on assure que Matignon et le Président, en tournée en Amérique latine cette semaine, conjuguent leurs efforts diplomatiques pour fédérer d’autres Etats-membres rétifs au traité et tenter d’exercer un veto. Si l’exécutif, isolé sur la scène européenne, peut s’appuyer sur une opposition unanime au traité de la classe politique française, la gauche dénonce «l’hypocrisie» du tandem Barnier-Macron, qu’elle suspecte de vouloir seulement atténuer la portée de l’accord. Surveillant comme le lait sur le feu un possible retour des convois de tracteurs, Annie Genevard a mis en garde contre le risque d’«abîmer le lien entre les Français et leurs agriculteurs» en cas de débordements ou de blocage, d’autant plus à l’approche des fêtes de fin d’année. La ministre, qui s’est longuement entretenue jeudi avec Barnier, assure le service après-vente des mesures prises ou concrétisées depuis son arrivée : fonds de 75 millions d’euros destiné à indemniser les éleveurs touchés par la fièvre catarrhale ovine et mise à disposition de vaccins pour les animaux, enveloppe de 120 millions d’euros alloués à l’arrachage des vignes, soutien à la trésorerie via des prêts à taux bonifié, abandon de la hausse de la taxe sur le gazole non routier, prise en compte des 25 meilleures années de revenus pour les retraites agricoles.
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Réclamé de longue date par la FNSEA, un contrôle administratif unique – une seule visite par an par exploitation, hors contrôles judiciaire et fiscal – a été mis en place, «première pierre sur le chemin de la simplification», a cajolé Genevard. «Si les crédits d’investissement sur l’agroécologie ont fondu dans le budget pour 2025, le gouvernement a fait un effort de 400 millions d’euros sur la fiscalité», explique le député socialiste Dominique Potier, qui juge cependant ces mesures (aides à la transmission, à la mécanisation, limite de la taxe sur le foncier non bâti) «iniques et sans levier économique efficace». Le parlementaire craint que si le mouvement agricole prend, «le gouvernement, faute de pouvoir renouveler un effort financier équivalent, accentue la dérégulation environnementale». En visite début octobre au sommet de l’élevage à Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme), Barnier avait dorloté ces agriculteurs qui en ont «ras-le-bol des contraintes, des règles et des contrôles» et leur a fait miroiter «une pause sur les normes».