Hémicycle, commissions, auditions… les travaux de l’Assemblée nationale sont filmés et diffusés en direct sur Internet. Tous ? Non ! Car une salle d’irréductibles élus résiste encore au regard des citoyens. Les commissions mixtes paritaires (CMP), ces réunions où sept députés et sept sénateurs tentent de se mettre d’accord sur un texte de loi, ont tout pour susciter curiosité et fantasmes. Outre l’absence de caméras – un compte rendu écrit est quand même publié a posteriori – les élus travaillent sans leurs collaborateurs et, surtout, sans la présence des ministres.
«C’est le seul lieu où le gouvernement perd la main», décrit un administrateur parlementaire. Seuls les fonctionnaires du Sénat et de l’Assemblée sont admis dans la salle, pour accompagner les élus dans l’élaboration de la copie finale. En cas d’accord, le texte est soumis à un dernier vote, en séance publique, dans les deux chambres. Sinon, c’est reparti pour une nouvelle lecture.
Lâcher du lest
C’est souvent en minibus que la petite troupe de parlementaires et d’administrateurs parcourt les trois kilomètres séparant les deux assemblées. Ce lundi 18 décembre, c’est en direction du Palais Bourbon, où se tient à 17 heures la CMP sur la loi immigration, que les sénateurs prendront la navette. Au fil des années, une autre tradition s’est un peu perdue. Celle du «pot» de fin de CMP, où sénateurs et députés s’offraient un bon gueuleton pour se récompenser de leurs heures de négociations.
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Drôle de lieu de pouvoir. Les sénateurs savent que l’Assemblée prédomine sous la Ve République : s’ils veulent garder une empreinte sur le texte final, ils ont intérêt à un accord, et donc à multiplier les concessions. Si les députés de la majorité, pressés par le gouvernement, veulent aller vite et s’économiser un dernier examen de la loi dans l’hémicycle, ils peuvent eux aussi être enclins à lâcher du lest. «Certaines CMP sont plus proches du marchandage de tapis que du grand débat politique, mais parfois le clivage politique est trop fort et l’accord est impossible», décrivent Pierre Januel et Vito Marinese dans leur très complet ouvrage la Fabrique de la loi : petit manuel à l’usage de tous (les Petits matins). Ce sera probablement le cas du projet de loi immigration, dont le fond du texte est l’objet d’une lutte de pouvoir entre Les Républicains et la majorité, mais aussi entre les ailes gauche et droite du macronisme.
Rendre la monnaie de leur pièce
Il y a plusieurs types de CMP. Les plus courtes durent dix minutes, montre en main, le temps de constater des divergences irréductibles. A quoi bon perdre du temps ? En revanche, si les présidents de commission et les rapporteurs des deux chambres ont identifié, en amont, un atterrissage possible, des heures de négociations serrées s’engagent. Au début du quinquennat précédent, les sénateurs LR levaient les yeux au ciel en voyant les novices de La République en marche réclamer sans cesse des suspensions de séance, pour aller prendre leurs ordres chez les ministres.
En 2022, les amateurs leur rendent la monnaie de leur pièce. La présidente de la commission des lois de l’époque, Yaël Braun-Pivet (aujourd’hui présidente de l’Assemblée nationale), utilise le prétexte d’un tweet du patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, sur le contenu d’une CMP en cours, pour mettre un terme aux travaux. Pris en défaut, les sénateurs sont repartis la queue basse.
Gare aux petites lignes. En 2015, l’emblématique président socialiste de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, propose au dernier moment une réécriture substantielle d’un dispositif sur la surveillance des étrangers, dans une loi sur le renseignement. Votée et d’abord passée inaperçue, la disposition est supprimée sur demande du gouvernement, après un début de bronca. Même s’il n’a pas de strapontin en CMP, l’exécutif s’arrange toujours pour avoir le dernier mot.