Des décennies durant, Libération a prêché dans le désert. Défendre la dépénalisation de la consommation de cannabis, c’était être renvoyé aux volutes post-soixante-huitardes d’une gauche aussi libertaire que laxiste. Quand «l’Appel du 18 joint» – signé à l’époque par des personnalités aussi diverses que Bernard Kouchner, Gilles Deleuze, Henri Leclerc, Isabelle Huppert, Edgar Morin, Jean-François Bizot ou André Glucksmann – est publié à la une du journal en 1976, la revendication portée par ce manifeste se limite au droit à la fumette, un plaisir festif et répandu qui ne devrait pas être plus stigmatisé que la consommation de cigarettes ou d’alcool. Volontiers militant, le journal organise une conférence de presse où le texte est lu par le philosophe François Chatelet, comme le raconte Jean Guisnel dans Libération, la biographie (La Découverte, 2003).
Le sujet n’est pas encore un enjeu de sécurité ou de santé publique. Il ne s’agit alors que de défendre une légitime distinction entre les drogues «douces» comme le cannabis et les drogues «dures» que sont notamment la cocaïne et l’héroïne, en luttant contre l’idée selon laquelle fumer aujourd’hui c’est inévitablement sniffer pour se piquer demain. Pour Libé, il faut traiter les vrais toxicomanes non comme des délinquants