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Défilé

De Philippe à Barnier, Macron grand consommateur de Premiers ministres

Le nom du 27e locataire de Matignon vient d’être dévoilé. Avec la nomination de Michel Barnier, Macron à lui seul en compte déjà cinq à son actif. Et ce n’est peut-être pas fini.
Emmanuel Macron et Edouard Philippe au Havre, le 14 avril 2022. (Albert Facelly/Libération)
par Paul Dubois
publié le 5 septembre 2024 à 14h59

Et de cinq ! Emmanuel Macron est un gros consommateur de Premiers ministres. Avec la nomination de Michel Barnier à Matignon, ce jeudi 5 septembre, il dépasse Jacques Chirac, qui n’avait usé que quatre locataires de Matignon entre 1995 et 2002. Et ne reste devancé que par François Mitterrand, sous lequel sept Premiers ministres se sont succédés entre 1981 et 1995. En choisissant des figures tantôt venues de la droite, tantôt de la gauche, mais aussi en nommant la seconde femme à ce poste ou le Premier ministre le plus jeune de l’Histoire, Macron a souvent surpris. Un point commun à ces figures, cependant : leur relation avec le chef de l’Etat a souvent viré à l’aigre.

Edouard Philippe, quasi-inconnu du grand public avant sa nomination, est le premier Premier ministre de l’ère Macron, nommé le 15 mai 2017. Venu du Havre, issu des Républicains et proche d’Alain Juppé, Edouard Philippe a mis du temps à s’imposer face au pouvoir «jupitérien» d’Emmanuel Macron. Première crise : l’abandon en 2018 du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, entraînant de vives réactions. Parallèlement, il introduit une réforme difficile de la SNCF, déclenchant de nombreuses grèves, et doit aussi faire face à des démissions ministérielles importantes, comme celles de Nicolas Hulot ou Gérard Collomb.

Le vrai baptême du feu arrive fin 2018 avec la crise des gilets jaunes, déclenchée par l’augmentation de la taxe carbone et la réduction de la vitesse sur les routes à 80 km/h, une décision portée personnellement par le Premier ministre. En 2019, il est confronté à la très contestée réforme des retraites, qui provoque une longue grève. Malgré des concessions et l’utilisation de l’article 49.3, la réforme est finalement suspendue en raison de l’épidémie de Covid. Philippe se retrouve en première ligne pour gérer cette dernière. Après des débuts hésitants sur la question des masques, il adopte une approche plus pédagogique qui redore son image. Réélu avec une large majorité au Havre lors des municipales, il quitte Matignon en juillet 2020 après trois ans et un mois, alors que ses relations avec Emmanuel Macron se sont notoirement refroidies.

Pour éviter que l’ombre de Matignon ne pèse sur l’Elysée, Macron entre dans une nouvelle ère, celle des technocrates, en nommant Jean Castex Premier ministre le 3 juillet 2020, en pleine pandémie. Castex, maire de Prades, haut fonctionnaire de droite et ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, est surnommé «Monsieur Déconfinement» en raison de ses compétences en gestion de crise sanitaire. S’il quitte Les Républicains, il ne rejoint pas plus que son prédécesseur les rangs du parti présidentiel. Durant son mandat, Jean Castex gère la pandémie, met en place le passe sanitaire, et introduit des mesures pour contrer la hausse des prix de l’énergie. Il relance aussi des projets routiers et soutient le tourisme durable. Il démissionne le 16 mai 2022, après 682 jours à Matignon.

Elisabeth Borne, alors ministre du Travail, lui succède, devenant la deuxième femme à occuper le poste de Première ministre après Edith Cresson sous la présidence de François Mitterrand. Initialement, Catherine Vautrin, présidente du Grand Reims, était pressentie pour ce poste, mais l’opposition de l’aile gauche de la majorité présidentielle, en raison de ses positions sur le mariage pour tous, conduit à la nomination de Borne. Experte des arcanes du pouvoir et issue de la gauche, elle fait adopter 41 projets de loi, dont les réformes des retraites et de l’immigration, en ayant recours 23 fois à l’article 49.3 pour contourner un vote de l’Assemblée nationale, devenant la deuxième Première ministre à l’utiliser autant après Michel Rocard (28 fois). Palmarès impressionnant puisqu’en moins de deux ans à Matignon, elle essuie 31 motions de censure et dirige un gouvernement qui voit passer 54 ministres. Après 602 jours à Matignon, elle part après le cinquième mandat le plus court à Matignon sous la Ve République.

En janvier 2024, Emmanuel Macron remanie son gouvernement en acceptant la démission d’Elisabeth Borne et en nommant Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale, au poste de Premier ministre. Fidèle parmi les fidèles, macroniste de la première heure, il devient, à 34 ans, le plus jeune chef de gouvernement de l’histoire de la Ve République. Ses premiers pas le font comparer à Nicolas Sarkozy, avec sa revendication d’un «parler vrai», son discours décomplexé sur la sécurité et une attention marquée à la visibilité médiatique. Mais son passage à Matignon s’achève par une défaite de son camp aux élections législatives anticipées, qui le pousse à remettre sa démission à Emmanuel Macron – un chef de l’Etat avec qui il est réputé être désormais en mauvais termes.

Le 5 septembre 2024, à l’issue d’une longue phase de consultations, c’est Michel Barnier qui entre à Matignon. Issu de la droite libérale, l’ancien négociateur du Brexit, âgé de 73 ans le jour de sa nomination, est un choix par élimination, après que plusieurs autres profils aient été écartés par Emmanuel Macron. Il devra faire face à l’Assemblée la plus incertaine de la Ve République, susceptible de le faire tomber à tout moment en adoptant une motion de censure.