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Le Festival des Idées

Débats à gauche : eh bien pensez maintenant !

A deux ans de la présidentielle et face à l’ascension de l’extrême droite, de nombreux chercheurs appellent les partis de gauche à se recentrer sur les idées et les propositions concrètes.
(Jeanne Macaigne/Libération)
publié le 27 juin 2025 à 17h53
(mis à jour le 30 juin 2025 à 12h13)

Initiative citoyenne, le Festival des Idées organise, du 4 au 6 juillet à la Charité-sur-Loire, plus de 30 rendez-vous pour débattre des défis culturels et politiques de demain. Un événement dont Libération est partenaire.

En ce premier semestre 2009, le Parti socialiste commence à se remettre tout doucement d’un congrès de Reims particulièrement explosif. Martine Aubry, la nouvelle première secrétaire veut remettre un parti friand de guerres intestines au travail. Deux ans après la défaite de Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle de 2007, la maire de Lille pense que les futures victoires du PS passeront par un «réarmement idéologique». Est donc mis en place un «laboratoire des idées» réunissant plusieurs groupes de travail composés d’experts. Les roses sont alors invités à plancher sur les questions environnementales, de justice, d’égalité… «C’étaient des moments de grande liberté et d’échanges. Il nous arrivait avec Martine Aubry de passer plusieurs heures à échanger avec des chercheurs», se remémore aujourd’hui Christian Paul, chargé à l’époque de présider le laboratoire. Mais tout ça ne durera qu’un temps. En 2012, l’organisme est arrêté dans la foulée de l’élection de François Hollande à l’Elysée. Une décision que beaucoup déplorent encore aujourd’hui.

Car loin d’être anecdotique, ce choix est révélateur de quelque chose de plus large et de plus profond : voilà des années que la gauche s’est détournée des questions de fond, des idées. «Aujourd’hui, on voit que ce qui reste des partis ne pense pas vraiment à approfondir le travail intellectuel. Tout n’est que stratégie et questions d’alliances», note le sociologue Michel Wieviorka, auteur de l’essai l’Idée de gauche peut-elle encore faire sens ? (l’Aube).

A l’approche de la présidentielle de 2027, les débats qui traversent la gauche sont effectivement éloquents. Les dirigeants qui plaident tous – à l’exception des insoumis de Jean-Luc Mélenchon - pour des candidatures communes voire uniques sont principalement focalisés sur les périmètres des potentielles alliances et les modes de désignation des futurs candidats. En évoquant bien sûr aussi la nécessité de constituer un programme qui n’est aujourd’hui qu’à l’état de projet. A chaque discours de rentrée ou de clôture de congrès, la promesse de travailler sur le fond est un passage obligé. Mais elle n’est pas forcément suivie d’effet.

La stratégie au détriment du fond

C’est, par exemple, après avoir fait ce constat que le chef de file des députés socialistes, Boris Vallaud, s’est lancé dans le congrès de son parti le 12 mars dernier. «Il est temps de replacer le travail sur les idées au centre de notre stratégie. Nous devons produire nos propres références, proposer une vision de long terme et construire un projet qui parle à tous», écrivait-il ainsi dans Libération. Pour montrer l’exemple, le député des Landes avait mis dans les débats le concept de «démarchandisation» qu’il envisageait comme la prochaine idée forte pouvant résumer la ligne du PS. Mais les controverses ne tourneront pas autour de ça. Seulement de la relation à La France insoumise. Encore une fois la stratégie au détriment du fond. «Les textes socialistes sont des catalogues de mesures techniques cherchant à couvrir toutes les thématiques d’action publique, en rien adossés à une lecture de la société, une vision critique du capitalisme et de ses mutations et la définition d’un horizon politique clair», observe alors le politiste Rémi Lefebvre dans Libération.

Pourtant selon Christian Paul, la gauche ne manque pas d’idées. Elle serait même «un réservoir inépuisable de propositions et d’innovations», dit-il. Seulement, le coorganisateur du Festival des idées qui rassemble chaque année au début de l’été politiques, intellectuels, chercheurs et militants associatifs le temps d’un week-end à la Charité-sur-Loire (Nièvre) – et dont Libération est partenaire — relève une «absence de production ordonnée d’un projet politique». Petit à petit, les partis se sont éloignés de la société civile. La relation entre les deux mondes est désormais «distanciée», estime l’économiste Julia Cagé, très intégrée dans le milieu politique. Le sociologue Michel Wieviorka va même plus loin et parle, lui, d’un «fossé immense». D’une part, parce que les partis, plus affaiblis que jamais en 2017 se sont concentrés sur eux-mêmes pour ne pas disparaître. «Le seul contact que certains partis ont gardé avec l’extérieur c’est avec des think tanks qui produisent des notes standardisées», regrette l’ancien candidat PS à la présidentielle de 2017 Benoît Hamon. Mais l’éloignement s’explique également par la défiance que peuvent ressentir certains chercheurs vis-à-vis des formations politiques qui n’apparaissent plus forcément comme des débouchés aux idées qu’ils peuvent formuler. «La société civile est prête à se mobiliser mais il faut être sûr qu’à la fin, ce qu’elle propose aboutisse à quelque chose et ne soit pas dilué dans des jeux d’appareils», précise Julia Cagé.

Lien «distancié» avec la société civile

Pour se rapprocher des milieux scientifiques, La France insoumise a trouvé la solution : créer son propre cercle de réflexion. En 2019, les mélenchonistes ont lancé l’institut la Boétie, un espace présenté comme un «lieu du dialogue permanent entre monde intellectuel, universitaire et culturel, et combat politique». Chaque semaine, des conférences et colloques sur des sujets aussi variés que la mer, le numérique, la lutte contre l’extrême droite y sont organisés. «Le niveau de débat et la qualité d’écoute y sont impressionnants», souffle Julia Cagé qui a participé à un événement. Comme dans n’importe quel think tank, des notes sont rédigées par des spécialistes proches de LFI et des élus. Un livre intitulé Extrême droite : la résistible ascension a été publié en septembre 2024. De quoi participer à la bataille des idées, estiment les insoumis. Sur le plan doctrinal, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon peut d’ailleurs se vanter d’être la seule famille politique de gauche à avoir un programme complet et identifié - «l’Avenir en commun». Chose que reconnaissent même les concurrents de LFI. A commencer par Raphaël Glucksmann, qui a présenté lundi 23 juin l’acte I de sa «vision» pour la France.

Mais malgré ce «réservoir» supposé d’idées, la gauche n’arrive pas à imposer son propre récit alors que le débat médiatique tourne surtout autour de la surenchère droitière de la classe politique. Elle qui pourtant se présente comme la seule alternative au Rassemblement national qui semble, à un an et demi de la présidentielle, aux portes du pouvoir. «Puisque l’adversaire est clairement identifié, la gauche est rentrée dans une sorte de facilité qui consiste à simplement se présenter comme un barrage à l’extrême droite sans mettre de propositions sur la table. Les grandes tribunes qui appellent à l’union de la gauche disent toutes que c’est nécessaire pour ne pas plonger le pays dans le fascisme mais ne donnent jamais envie de voter pour la gauche pour ce qu’elle propose», affirme Julia Cagé. «L’antifascisme est un combat absolument central. Mais ce n’est pas un projet de reconquête des classes populaires et moyennes. La résistance, impérative, ne suffit pas pour gagner», abonde le sénateur écologiste Yannick Jadot.

Si la gauche est en là aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle «ne remplit plus la fonction qui a longtemps été la sienne, à savoir éclairer l’avenir de manière positive et inspirante», estime Benoît Hamon. L’ancien socialiste, aujourd’hui président d’ESS France, avait articulé sa campagne présidentielle de 2017 autour de l’idée de revenu universel. Une proposition qui avait fait débat et poussé l’ensemble de la classe politique à se positionner. «Innover, faire un pas de côté, permet de se positionner dans une sorte de leadership intellectuel», considère-t-il. Ce n’avait toutefois pas empêché le PS de s’effondrer à 6 % à la fin d’une campagne marquée par le rapprochement de nombreux cadres roses vers la macronie.

Quoi qu’il en soit, si la gauche semble aujourd’hui loin du pouvoir, l’optimisme demeure dans les partis et la société civile. «Il y a des gens intelligents et une demande populaire forte», note Julia Cagé. Le sociologue Michel Wieviorka conclut avec une image : «c’est un bon moment pour se réinventer : on est au fond de la piscine, il faut désormais mettre un grand coup de pied pour remonter à la surface.»