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«Dictature du prolétariat», «hystérie fiscale»… comment un amendement NFP sur la taxation des grandes entreprises a fait disjoncter la macronie, la droite et le RN

En faisant passer, lors des débats sur le budget, un amendement qui porte jusqu’à 55 % l’impôt exceptionnel sur les grands groupes, la gauche a mis le feu à l’Assemblée. La majorité relative s’est même retrouvée à voter contre l’article de son propre gouvernement.
A l'Assemblée nationale, le 22 octobre 2024. (Magali Cohen/Hans Lucas. AFP)
publié le 26 octobre 2024 à 13h35

Numéro 2 277. C’est un amendement qui a rendu fous les bancs du bloc central, de la droite et de l’extrême droite vendredi soir. Durant l’examen de l’article 11 du projet de loi de finances, le NFP est parvenu à faire voter une surtaxe temporaire de 120 % sur l’impôt des plus grandes entreprises. Plus précisément, porter l’impôt sur les bénéfices à 40 % pour celles dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros et à 55 % pour celles de plus de trois milliards d’euros. Bien davantage que la contribution exceptionnelle prévue par le projet de budget du gouvernement Barnier pour les 400 plus grandes entreprises, censée rapporter 8 milliards d’euros.

Jusqu’ici, une longue série d’amendements de la gauche réclamant une hausse de cette taxe ou de la rendre pérenne avaient été rejetés, parfois d’une poignée de voix, dans un hémicycle peu rempli. Avant eux, le groupe UDR d’Eric Ciotti – et même une poignée de députés macronistes militant mordicus pour la politique de l’offre avaient tenté en vain de faire supprimer la surtaxe, par un amendement balayé avec seulement 14 voix pour. Mais l’amendement porté par LFI, qui double la surtaxe, a lui été voté peu avant minuit, à la surprise générale : 109 députés de gauche présents ont voté pour, 95 élus du bloc central, de la droite et de l’extrême droite contre. Sauf la députée RN Alexandra Masson qui l’a soutenu. Eclair de bolchevisation ou bien à cause d’un doigt qui a ripé sur le mauvais bouton, on ne sait pas encore…

Ce vote a indigné les bancs de droite, qui plutôt que défendre leurs amendements, ont utilisé tout leur temps de parole pour protester. «Ce soir, le piège fiscal se renferme sur le gouvernement, s’est désolé Charles Sitzenstuhl (Renaissance). A l’issue de cette soirée, je serai très inquiet pour nos chefs d’entreprise.» Le député alsacien, comme ses collègues, feint-il d’oublier que cet amendement n’a aucune chance d’être conservé ni en cas de 49.3, ni au Sénat, ni en commission mixte paritaire ?

Son collègue Mathieu Lefèvre a, lui, accusé la gauche de «haine contre la propriété» et d’avoir «adopté des impôts à 120 %», dans «un grand moment d’hystérie fiscale». «Les amendements votés nous font basculer dans une hallucination collective, s’est exclamé David Amiel (Renaissance). Le taux d’impôt sur les sociétés serait le plus élevé au monde, […] vous avez battu les Comores qui étaient jusque-là les champions du monde de l’impôt sur les sociétés.» Laurent Saint-Martin, le ministre du Budget, semblait dépité : «Ce que vous faites là n’est tout simplement pas sérieux.» «Ce qui n’est pas sérieux, a rétorqué Mathilde Panot (LFI), ce sont les 1 000 milliards de dette qui ont été faits par Emmanuel Macron» et «de demander au peuple de payer les cadeaux faits aux riches et aux multinationales depuis sept ans […]. Nous sommes en train de montrer qu’un autre budget est possible.»

«Stratégie anticapitaliste, d’inspiration marxiste»

Les quarante-cinq dernières minutes de la journée vont se terminer par une succession de joutes verbales. «120 % de taux, ça ne ressemble à rien [ce qui n’est pas ce que propose l’amendement, ndlr], pourquoi pas 500 %, 2 000 %, 3 000 % ?» a ironisé le député RN Matthias Renault. «Vous êtes totalement irresponsables, vous voulez écraser l’économie française, vous avez décidé d’essayer de prendre le pouvoir par le chaos, que vous soyez LFI ou socialiste c’est la même chose, vos esprits sont mélenchonisés, et donc brutaux et agressifs, notre débat ne ressemble plus à rien», s’est énervé le macroniste Eric Woerth – s’inquiétant peut-être du fait que le nom du candidat à la présidentielle n’avait pas encore été invoqué par la droite ce vendredi soir au Palais-Bourbon.

Mais c’est le député Renaissance Daniel Labaronne qui a écrasé la concurrence. «Tous vos amendements s’inscrivent dans une stratégie anticapitaliste, d’inspiration marxiste», a-t-il lancé, pince-sans-rire, comme pour féliciter la gauche, qui a accueilli sa tirade par de bruyants bravos, applaudissements et remerciements. Et de lister les buts qu’il lui prête : «s’attaquer aux riches pour aller vers une société sans classe», «appropriation collective des moyens de production», «s’attaquer à l’économie de marché», pour enfin aboutir à «la dictature du prolétariat». «Quel bonheur, M. Labaronne, ce que vous venez de nous dire», a souri dans la foulée le député communiste Nicolas Sansu.

Cette séquence fantasque s’achèvera dans un ultime retournement de situation, lors du vote final sur l’ensemble de l’article 11, modifié par le fameux amendement. Le RN, mais aussi Renaissance et LR l’ont rejeté en bloc, par 122 contre et 113 pour. Avec donc une trentaine de votants de plus que lors du vote de l’amendement : visiblement, le «bloc central» et la droite avaient rameuté leurs troupes. L’absence des macronistes cette semaine à l’Assemblée a d’ailleurs de nouveau été dénoncée par le RN, qui l’accuse de mener une stratégie délibérée. Certains verront dans ces échanges des palabres inutiles ; d’autres le retour du débat idéologique entre la gauche et la droite qu’Emmanuel Macron avait paraît-il effacé il y a sept ans.