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Libération
Guerre commerciale

«Une douche froide pour le secteur» : le vin français va trinquer avec des droits de douane à 15 %

La filière des vins et des spiritueux, l’un des moteurs des exportations tricolores, devra finalement supporter des taxes de 15 % à l’entrée du marché américain, a annoncé ce jeudi le commissaire européen au Commerce.

Le ministre français délégué au Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin, affirme néanmoins que la France va continuer à travailler pour arracher une exemption. (Frédéric Moreau/Hans Lucas via AFP)
Publié le 21/08/2025 à 14h51

Le couperet est finalement tombé. Comme les voitures et les produits pharmaceutiques européens, les vins français (comme italiens ou espagnols…) ainsi que les spiritueux (les alcools forts) seront bien taxés à 15 % à leur entrée aux Etats-Unis. Après l’annonce, en juillet du «deal» entre la Maison blanche et la Commission européenne, le gouvernement français espérait que ce moteur des exportations tricolores soit épargné. Les maisons viticoles devront donc, elles aussi, passer à la caisse.

«Malheureusement, nous n’avons pas réussi à ce que ce secteur» soit inclus dans les exemptions, a déclaré le commissaire européen au Commerce Maros Sefcovic lors d’une conférence de presse en présentant les détails de l’accord commercial noué entre l’UE et l’administration Trump fin juillet, ajoutant que «ces portes n’étaient pas fermées pour toujours».

Sur X, le ministre français délégué au Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin, affirme néanmoins que la France va continuer à travailler pour renverser la vapeur, assurant que «la défense de nos secteurs à l’export reste notre priorité. L’accord laisse ouverte la possibilité d’exemptions additionnelles, nous y travaillerons.»

Cette exemption aux droits de douane de 15 % pour les vins et les spiritueux était vivement réclamée en particulier en France et en Italie. Mais les exportateurs vont devoir faire avec si elles veulent garder l’accès au marché américain.

«Une immense déception»

Après cette annonce, la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS) français a fait part de son «immense déception». «Nous avons la certitude que cela entraînera de grosses difficultés pour la filière des vins et spiritueux», a déclaré à l’AFP Gabriel Picard, président de la Fédération. Christophe Chateau, du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), estime que «c’est une mauvaise nouvelle parce que c’est un frein supplémentaire au commerce et à l’exportation des vins de Bordeaux aux Etats-Unis», qui représentent de loin leur premier marché d’export. «C’est la douche froide pour le secteur car c’est clairement une mauvaise nouvelle, assure Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et à l’Inseec Grande Ecole à Libé. Tout le monde espérait bénéficier d’une exemption.»

Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de la CGT Champagne, voit le verre à moitié plein. «Aux Etats-Unis, ce sont principalement des grandes maisons qui exportent là-bas, ils pourront se permettre de négocier avec les intermédiaires et les distributeurs pour absorber les coûts de cette taxe», assure-t-il à Libération. Les petits viticulteurs, eux, seront bien plus en difficulté pour faire face, note le syndicaliste, même s’ils représentent un parti bien plus faible des exports outre-Atlantique. Il rappelle que contrairement au 200 % droits de douane promis par Donald Trump en début d’année, le chiffre de 15 % est beaucoup plus supportable pour les acteurs du milieu. Un constat que partage Jean-Marie Cardebat, qui insiste sur le fait que l’«on reste malgré tout dans la fourchette basse de tout ce qui avait été annoncé depuis 6 mois.»

Tous les pays producteurs à la même enseigne

Jean-Marie Cardebat souligne également que le taux de la taxe n’est qu’une partie du problème car «les droits de douane ont aussi un effet récessif et inflationniste pour l’économie américaine et mondiale». Des conséquences indirectes qui vont se traduire par «des ménages américains qui vont être moins riches demain. Ils vont donc moins acheter de vins de façon générale», analyse-t-il.

L’économiste considère aussi que les grandes maisons pourront limiter l’augmentation des prix en renégociant avec leurs intermédiaires. Elles devront, selon lui, «mettre en place des stratégies alternatives à l’export et aller vers des pays qu’elles exploraient peu jusque-là». Jean-Marie Cardebat observe aussi que tous les pays du monde seront finalement logés à la même enseigne pour vendre aux Etats-Unis : «Les distorsions de concurrence seront limitées parce que tout le monde va être touché. Les concurrents comme les vins australiens, sud-africains, néo-zélandais subissent au final des tarifs à peu près équivalents.»

Calendrier rétroactif

Après des mois de négociations très âpres, Bruxelles et Washington avaient scellé fin juillet un accord commercial basé sur des droits de douane de 15 % sur les produits européens qui arrivent aux Etats-Unis. C’est bien plus que le taux en vigueur avant le retour au pouvoir du président américain - autour de 4,8 %. Mais moins que ce que le milliardaire républicain menaçait d’imposer au Vieux continent, faute d’accord.

Le texte commun précise que les 15 % rentreront en vigueur lorsque l’UE aura introduit un texte de loi pour réduire ses propres taxes douanières. «Nous travaillons avec détermination pour lancer le processus législatif», aussi rapidement que possible, a souligné le commissaire européen. Dans un court message posté sur X, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a salué un texte qui offre «prévisibilité pour nos entreprises et nos consommateurs».