Régine a 78 ans. Adhérente du Parti socialiste depuis 1987, la retraitée de l’Education nationale au foulard coloré a tout connu. Les soirs arrosés de victoires, ceux bien plus calmes de défaites. Dans ce XVIIIe arrondissement où elle vit depuis des dizaines d’années, la sexagénaire ne compte plus les «camarades» qu’elle a côtoyés. Dans sa section, l’ancienne institutrice a notamment croisé la route de la fameuse «bande des quatre» formée par Bertrand Delanoë, Claude Estier, Daniel Vaillant et Lionel Jospin. «La belle époque», souffle-t-elle à la sortie de l’arrêt de métro Jules-Joffrin. Entourée d’une quinzaine de militants agglutinés autour d’une remorque à vélo signée PS, Régine peine à cacher son impatience. C’est que ce mercredi 22 mai, un invité surprise vient participer au tractage du soir : l’ancien Premier ministre Lionel Jospin.
Sur le trottoir d’en face, les journalistes font le pied de grue devant la mairie. A l’intérieur, l’homme de la gauche plurielle échange avec le maire de l’arrondissement, Eric Lejoindre, et la tête de liste PS-Place publique, Raphaël Glucksmann. Vers 19 h 30, les trois hommes apparaissent enfin sur le parvis. Comme surpris par l’armée de caméras face à lui, Lionel Jospin prend quelques instants avant de justifier sa présence. «J’ai voté pour Raphaël Glucksmann il y a cinq ans. Il est l’une des têtes de liste les plus légitimes», explique-t-il. «J’ai toujours considéré qu’on devait juger les élus sur la façon dont il accomplissait la mission qui leur a été confiée par le peuple. Et Raphaël Glucksmann n’a pas été à Strasbourg, à Bruxelles, pour faire de la politique en France», poursuit-il. L’ancien premier secrétaire du PS affirme aussi se retrouver pleinement dans «le cap» porté par l’essayiste. «Celui qui équilibre la dimension sociale et la perspective écologiste.» En retour, le candidat dit «la fierté» de recevoir le soutien de son aîné. «Tout ce que tu incarnes, c’est ce dont on a besoin», lance-t-il à Jospin. A savoir «la clarté, la fidélité, la solidité et l’intégrité».
Billet de 20 euros
Les papouilles terminées, le tractage peut commencer. Les deux hommes avancent lentement sur la rue Ordener précédés d’un mur de micros et caméras. Ce qui limite grandement les échanges avec les passants au grand désespoir de l’équipe de campagne. A presque 20 heures, les terrasses sont pleines. Glucksmann, avenant, distribue des tracts aux différentes tables en invitant les gens à son grand meeting prévu jeudi 30 mai. En marge de la cohue, certains militants tentent eux aussi de porter la bonne parole aux passants. «Bonjour monsieur, le 9 juin votez Raphaël Glucksmann», dit, par exemple, un jeune rose à un homme flanqué d’un imperméable beige. «Non merci, je suis de gauche», rétorque le promeneur. Raté pour cette fois. Le petit groupe poursuit ensuite sa marche quand un homme apostrophe l’ancien Premier ministre : «Monsieur Jospin avec tout le respect que je vous dois, vous n’auriez pas une petite pièce ?» Filmé et sans monnaie dans les poches, l’ancien député de Haute-Garonne tend un billet de 20 euros.
La déambulation continue rue Ramey. Lionel Jospin plutôt en retrait laisse faire la tête de liste. «Désolé de déranger votre apéro», s’excuse Glucksmann aux clients des bars et des restaurants croisés. L’accueil est plutôt bon. «On vous soutient», disent certains. Mais le candidat tombe aussi sur des gens qui n’ont pas du tout l’intention de voter pour lui. Comme cet homme croisé devant une épicerie-fromagerie. «Vous faites monter les extrêmes», accuse le vingtenaire. Lequel n’a pas apprécié de voir la tête de liste insinuer que des insoumis ont participé à son expulsion de la manifestation du 1er mai à Saint-Etienne. «Si je faisais 100 % des voix ça se saurait, relativise Glucksmann à la fin de la marche devant les journalistes. La démocratie c’est aussi exprimer des dissensions de façon apaisée.»