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Dernier meeting

Elections européennes : au Cannet, la fin de campagne de François-Xavier Bellamy face au «piège de l’indifférence»

La tête de liste Les Républicains pour le scrutin de dimanche était dans les Alpes-Maritimes ce mercredi soir, aux côtés de ses colistiers et de Laurent Wauquiez. La dernière étape d’une campagne sans faux pas, ni éclat.
Au Cannet, mercredi soir, dernier meeting de campagne de François-Xavier Bellamy. (Patrick Gherdoussi/Libération)
publié le 5 juin 2024 à 22h27

Plonger dans une salle de meeting des Républicains (LR) pleine à craquer et piocher, au hasard, un concentré des turpitudes – et impasses – du parti… Le Cannet, dans les Alpes-Maritimes, ce mercredi soir. La tête de liste LR François-Xavier Bellamy est attendue pour son dernier rendez-vous de campagne. Au fond de la salle, face à l’estrade, Michel, un retraité Cannois, n’a ni lauriers à tresser, ni critiques à balancer. Juste du «pragmatisme», dit-il : «La droite est en minorité, avec le risque de continuer à s’affaiblir. La meilleure tactique serait de se rapprocher d’Emmanuel Macron.» En 2022, il a voté Eric Zemmour au premier tour, puis Emmanuel Macron au second. Marine Le Pen ? «Jamais» il ne votera pour elle : «Elle n’a pas le niveau requis et est nulle en économie.»

Dans la dernière ligne droite avant le scrutin de dimanche, la droite n’a pas pris le risque d’afficher une salle avec des sièges vides. Au Cannet, fief de la députée Michèle Tabarot et réservoir d’adhérents plus ou moins fantômes pour les scrutins internes, La Palestre est remplie. Quatre brochettes de jeunes militants, au premier rang, tentent de réveiller les plus anciens. Sur l’estrade, sans notes et micro à la main, le candidat crédité de 7 % d’intentions de vote, sonne la mobilisation : «Ne vous laissez pas intimider, décourager. Tout cela se joue maintenant, dans les quelques jours qui viennent. Le destin d’un continent, l’avenir de notre pays, l’élan que notre famille doit retrouver pour servir le bien commun, tout cela se joue maintenant.»

«Crise de civilisation»

Après avoir salué ses colistiers, les équipes de campagne et Laurent Wauquiez, assis face à lui, Bellamy déroule un long discours axé sur l’excès de normes, la «crise intérieure, spirituelle, de civilisation» que traverse selon lui l’Europe : «J’ai entendu partout le même cri de détresse, la même inquiétude, la même angoisse. Les Français vivent tous les jours le double décrochage, de l’Europe dans le monde et de la France en Europe. L’appauvrissement du pays devient concret, pour des Français qui travaillent dur et pourtant ne s’en sortent pas.» Et le professeur de philo d’adresser son remède, en un mot : la «liberté». «L’Europe ne retrouvera son élan, sa prospérité, sa richesse, son rayonnement, que si elle retrouve ce qui a fait son histoire, son identité : le goût, le risque, la joie de la liberté. Voilà ce qui se joue dans cette élection.»

Largué par l’avance de la liste de Jordan Bardella (33 % dans un sondage Ipsos daté du 3 juin), Bellamy ressort un classique de la campagne : «Aux élections européennes, le RN, on a déjà essayé. […] En dix ans, ils n’auront pas déplacé une virgule dans un seul texte européen.» Juste avant lui, Michèle Tabarot se montre plus offensive contre l’extrême droite : «Le RN était il y a quelques mois encore pour sortir de l’Europe. Derrière l’image de gendre idéal, le RN compte en Europe des alliés ténébreux, encombrants, qui ont écrit les pages les plus sombres de l’histoire du XXe siècle.» Le patron du parti, Eric Ciotti, tape de son côté contre le pouvoir en place : Emmanuel Macron, «qui monopolise le temps d’antenne et prend en otage cette campagne électorale sans honte» et Gabriel Attal, qui «joue les doublures» de Valérie Hayer, la candidate du camp présidentiel.

«James Bond chez les cathos»

A droite, à quelques jours du scrutin, rares sont les voix à étriller trop frontalement les cinq mois de campagne du candidat. De l’avis de parlementaires et de cadres, Bellamy a livré une «belle» campagne. Désigné comme tête de liste mi-janvier par Eric Ciotti, après une longue période d’hésitation du chef du parti, l’eurodéputé sortant a débuté prudemment, avec des séquences thématiques sur le terrain. Les agriculteurs dans l’Oise, les pêcheurs aux Sables-d’Olonne, le Salon de l’agriculture… Du classique, un brin ronflant. Le meeting de lancement, le 23 mars à Aubervilliers, où Bellamy charge le camp Macron, ne fait pas plus de vagues. Chez LR, tous attendent la désignation de la liste, qui tombe fin avril. Bellamy s’y voit lesté des sortants Nadine Morano et Brice Hortefeux, vestiges du sarkozysme. Les dents grincent en interne. En privé, le candidat tique aussi. «S’il avait eu la main, il aurait fait autre chose», glisse un de ses proches. La tête de liste encaisse et s’appuie sur les nouveaux visages de la liste, l’agricultrice Céline Imart et le général Christophe Gomart.

C’est seul, pourtant, qu’il tente de donner un coup de fouet à sa plate campagne. Début mai, il se pointe à Sciences-Po, alors bloqué par des manifestants pro-Palestine, et donne la réplique au député LFI Louis Boyard. Abondamment relayée sur les réseaux sociaux, la séquence tourne sur les boucles de militants et des élus LR. Le patron de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez comme les éditorialistes (de droite) s’emballent. Dans Le Point, ça donne : «James Bond chez les cathos de droite. Un narratif, comme on dit aujourd’hui, susceptible de faire de Bellamy un candidat aux millions de vues sur TikTok et autres plateformes.»

«Il a pris goût à la castagne»

Voilà Bellamy le gentil capable de donner des baffes, se réjouit-on enfin à droite. Un proche du candidat rembobine : «Il y a eu un déclic chez lui à ce moment-là. Il a pris goût à la castagne et compris que la politique se rapproche plus d’un match de boxe que du concours général de philosophie.» Agacé par le match entre Bardella et Hayer, Bellamy remet ça le 23 mai, après le débat sur France 2 entre la tête de liste RN et le Premier ministre. Le candidat fustige une «mise en scène» : «Qu’est-ce qui permet d’organiser la confrontation entre ces deux personnes ?» Son intervention est vue plus de 5 millions de fois sur X. Ses concurrents, comme Raphaël Glucksmann (PS-Place publique) valident le propos sur le fond. Un complément de visibilité, alors que Bellamy n’aura pas franchement marqué des points lors des débats.

Poupon de Wauquiez en 2019, Bellamy s’est depuis affranchi des ténors et a tenté d’incarner personnellement sa campagne. «On partait d’une situation politique difficile. Mais on a évité le piège de l’indifférence qui nous menaçait, a-t-il glissé ce mercredi au Cannet, devant quelques journalistes. Je vois des signaux encourageants remonter du terrain et même dans les enquêtes d’opinion. On voit un léger frémissement. […] Les Français s’intéressent à cette campagne et ont de l’estime pour la façon dont on l’a menée.» Ses proches le décrivent comme moins «coincé», plus libre, qu’il y a cinq ans : «Il n’a pas de regrets.» Contrairement à 2019, le conservateur, opposé personnellement à l’IVG, ne s’est pas repris les pieds dans les sujets sociétaux, malgré l’examen, ces jours-ci à l’Assemblée, du projet de loi sur l’aide à mourir. «Un débat infiniment complexe», élude-t-il seulement mi-mars sur Europe 1.

Reste la réalité d’un parti agonisant, réduit à peau de chagrin après le score calamiteux (4,78 %) de Valérie Pécresse à la présidentielle de 2022. Les déplacements de terrain, l’omniprésence dans les médias et les quelques tentatives d’éclats n’y ont rien fait : Bellamy est resté scotché entre 6 et 8 % des intentions de vote. Jamais il n’aura dépassé ce plafond, contrairement à 2019, où sa trombine avait fait décoller les courbes (un pic autour de 14 %) – pour finir à 8,48 %. Les stratèges LR se grattent encore la tête. Pourquoi diable Raphaël Glucksmann, face auquel Bellamy a tenté de faire valoir le retour du clivage gauche-droite, a-t-il grimpé dans les sondages, prenant des voix dans l’électorat macroniste ? Commentaire d’un proche qui le conseille : «L’espace politique est encore plus faible qu’en 2019. On sortait d’une présidentielle à 20 % [en 2017]. Le RN est plus fort aujourd’hui, et on a la liste de Maréchal dans les pattes… S’il fait dans les mêmes eaux qu’en 2019, c’est déjà un exploit.» Divin.