Le ministre a bien fait d’être en retard : à sa place, c’est le maire de Bellegarde qui essuie l’avoinée de son homologue de Beaucaire, dans le Gard. Le premier, Juan Martinez, est étiqueté divers gauche, l’autre, Julien Sanchez, est d’extrême droite. Chacun a rameuté des copains à écharpe d’officiels pour la venue du porte-parole du gouvernement Olivier Véran, qui doit faire le tour de quelques associations de Beaucaire et terminer par un échange avec la population. Il ne vient pas par hasard : le lendemain, samedi 16 septembre, Marine Le Pen et Jordan Bardella doivent prononcer leur discours de rentrée dans les arènes de la ville.
Aux côtés de Julien Sanchez, l’édile de Beaucaire et vice-président du Rassemblement national (RN), les quatre députés gardois du parti d’extrême droite, une conseillère régionale, deux conseillers départementaux. Avec Juan Martinez, l’élu de Bellegarde et président de la communauté de communes, à l’origine de la visite ministérielle, un sénateur socialiste et une conseillère régionale PS d’Occitanie. Forcément, le ton monte vite sur le parvis de la belle collégiale de style classique où tout ce petit monde piétine en attendant le ministre.
«Le rang protocolaire, c’est le maire en premier, non ?»
«C’est bien la première fois que le centre-ville de Beaucaire est nettoyé, d’habitude c’est dégueulasse partout», lance Sanchez à Martinez, qui a la compétence du ramassage des ordures dans la «com’com». «Et oui, vous m’avez même demandé de nettoyer autour des arènes pour votre meeting demain [où Marine Le Pen doit faire sa rentrée politique, ndlr.]», lui rétorque l’autre. Le frontiste revient à la charge. Il reproche à son collègue d’avoir trié les invités de la réunion de l’après-midi pour exclure les sympathisants RN. «Mais on a invité tout le monde», balaie Martinez. «Ce n’est pas ce que disent vos employés», renvoie Sanchez, qui clame n’avoir pas été associé à la venue d’Olivier Véran et l’avoir apprise dans la presse. Ce que le cabinet du ministre conteste formellement.
Amal Couvreur, conseillère départementale et régionale PS, déboule dans la conversation : «Ce qui vous gêne, c’est qu’une élue de la République soit née à Casablanca !» «Mes parents étaient pieds noirs, ils sont nés à Rabat, s’agace Sanchez. Vous faites quoi au département, à part subventionner les graffitis et les tags ?» «On finance l’accès à la culture pour les jeunes de quartiers défavorisés, c’est du street art !» s’insurge la socialiste. La représentante de la préfecture interrompt l’algarade. Les berlines à vitres fumées approchent. «Le rang protocolaire, c’est le maire en premier, non ? C’est dommage pour lui [Juan Martinez, ndlr]», grince Sanchez. Dernière pique pour la route : «Oh tiens, un sénateur, ça fait plaisir, c’est la première fois en trois ans», poursuit-il, décidément très en forme, en direction du parlementaire en question, le socialiste Denis Bouad.
«On va mettre les coups de com’ de côté»
Olivier Véran sort donc de sa voiture et va saluer les députés. Celui de la circonscription, Yoann Gillet (RN), sort une carte de visite de sa poche de costard : «Tenez, le numéro du maire de Beaucaire, que vous pourrez appeler la prochaine fois.» «On va mettre les coups de com’ de côté», lui propose le ministre. Quatre ou cinq officiels plus loin, Sanchez recommence : «Je suis le maire que vous avez ignoré.» «On va laisser de côté tout ça, répète Véran, je ne suis pas là pour faire de la politique et la ville a l’air très belle.» Refroidis par l’attitude du ministre, les lepénistes changent d’attitude pour le reste de la journée, oscillant entre silence boudeur et sourires en coin. Il faut reconnaître que le programme du porte-parole du gouvernement ne prête guère le flanc à la polémique : rencontre avec des jeunes de la mission locale sur leur expérience d’Erasmus, puis avec les bénévoles et bénéficiaires d’une association d’aide à l’intégration des immigrés. Tout le monde trouve ça parfait. Même les élus RN ont du mal à y redire.
Tout cela a l’air de faire partie du plan machiavélique d’Olivier Véran, qui insiste sur sa casquette de ministre délégué au Renouveau démocratique mais a surtout l’air d’avoir envie d’embarrasser le parti d’extrême droite à la veille de sa rentrée politique. «Demandez aux quatre députés RN, quand ils voient des personnes qui font six heures de cours de français par semaine s’ils sont à l’aise pour les mettre dehors ? sous-titre un conseiller. Là, je n’ai pas l’impression qu’ils avaient l’immigration honteuse, ils avaient plutôt des velléités de selfies.» L’idée est de montrer qu’il y a des choses qui vont bien en France et que les ministres macronistes sont capables de parler à tout le monde, électeurs RN ou pas.
«Il n’y a pas de “monsieur le ministre”, vous pouvez m’appeler Olivier»
Pour preuve, une réunion publique est organisée sur un parking en plein soleil, à l’arrière du siège de la communauté de communes, un peu à l’extérieur de Beaucaire. Tout le monde a le droit de venir, répète Véran, même si les personnes présentes avaient reçu des invitations. «Il n’y a pas de règles, la parole est libre, il n’y a pas de “monsieur le ministre”, vous pouvez m’appeler Olivier», commence-t-il en bras de chemise, cravate tombée. Une question sur les retraites agricoles : «Comment pouvez-vous nous expliquer que mon mari soit obligé de travailler en plus de sa retraite ?» ose une femme, timide et remontée, à côté de son mari. Un militant de Reconquête, le parti d’Eric Zemmour, prend ensuite la parole : «Vous me devez dix mille euros, à cause des missions que j’ai perdues par rapport au pass sanitaire et au produit que je me suis fait injecter.» «On ne va pas rouvrir le dossier pass sanitaire», exclut le ministre.
Une étudiante de la mission locale pose ensuite la question des violences de policiers contre les lycéens, affirme qu’il faut plus écouter les jeunes. «Je suis très favorable à ce qu’on ait une convention citoyenne de la jeunesse. D’ailleurs je crois en la jeunesse, je viens de nommer un directeur de cabinet adjoint de 23 ans», répond Véran. A la fin de l’échange, sa chemise est trempée, l’assistance en sueur. Sanchez, qui n’a pas retiré sa veste, explique son attitude : «L’idée n’était pas de passer pour les agresseurs non plus. Mais dans le fond, qu’est-ce que sa venue change ? Il est venu faire une thérapie de groupe, mais il n’a rien annoncé.» A la fin de la journée, l’édile semble se demander si l’opération du ministre lui a été profitable, ou s’il a juste perdu son temps.