La primaire est finie, le match continue. A peine investie par Les Républicains, après sa victoire au congrès du parti samedi, Valérie Pécresse va devoir gérer les appétits de son concurrent malheureux, le député Eric Ciotti. C’est sur ses terres et en sa compagnie qu’elle fera lundi son premier déplacement de candidate. Dans les Alpes-Maritimes, elle fera escale à Nice, puis à Saint-Martin-Vésubie, le village d’origine du cofinaliste de la primaire. La promenade se voulait une démonstration d’unité. Elle va prendre une autre couleur, après que l’élu sudiste a adressé dimanche une première semonce à son invitée.
«Le message qui a été lancé hier [par Valérie Pécresse] n’était pas un bon message, a déclaré Ciotti, à l’issue d’une réunion publique, à Nice. [Ce message] a surpris, étonné, beaucoup de personnes qui me soutiennent […] J’entends que mes idées soient représentées avec force» dans la campagne à venir. L’appui des 40 % d’électeurs l’ayant soutenu au second tour de la primaire serait à ce prix. Dans le JDD, le matin même, il avait planté d’autres jalons : «Je souhaite que [Valérie Pécresse] reprenne certaines de mes idées, comme la suppression des droits de succession, la baisse massive de l’impôt sur le revenu, le retour de la double peine, la mise en place de conditions différentes d’acquisition de la nationalité française…». En fait, conclut Ciotti, «même si je n’ai pas gagné ce congrès, mes idées ont triomphé».
«On ne dissoudra pas mon projet dans la synthèse»
L’ex-candidat faisait référence aux premières interventions médiatiques de Valérie Pécresse. Interrogée sur la place qu’elle proposerait à son ancien concurrent, et à ses idées, elle s’est gardée d’engagements trop précis. Sur TF1, samedi, elle a réagi plutôt fraîchement à l’énoncé des mesures les plus radicales d’Eric Ciotti comme la création d’un «Guantanamo à la française» ou la priorité nationale pour les emplois : «C’est mon projet qui a été choisi par les militants, c’est ma ligne, qui peut permettre de rassembler.» Chez les anciens candidats, «je veux puiser [les propositions] qui me paraissent les plus efficaces, mais je ne changerai pas ma ligne», a-t-elle assuré dans le JDD. Sur RTL, dimanche, elle a comparé Eric Ciotti à «un grand ministre de l’Intérieur de la Ve République, Charles Pasqua», mais ajouté qu’elle ne fera pas «de synthèse molle, on n’est pas au Parti socialiste, on ne dissoudra pas mon projet dans la synthèse». Selon le Figaro, les deux LR ont longuement échangé au téléphone, dimanche en début d’après-midi.
Péripétie sans conséquences, ou premiers nuages au-dessus de la campagne ? De la part de Ciotti, estime un proche de Pécresse, «c’est une petite pression avant la discussion de demain midi» – les deux intéressés doivent négocier les termes de leur entente au cours d’un déjeuner au restaurant La Petite Maison, à Nice. Le député des Alpes-Maritimes, que pas grand monde n’attendait si haut, se rêve manifestement en homme fort de la campagne. Celui qui a défendu un programme proche de l’extrême droite joue sur du velours : on compte sur lui pour retenir à LR un électorat capable, sinon, de prêter l’oreille à Eric Zemmour ou à Marine Le Pen.
Avant ses dernières déclarations, les soutiens de Pécresse se voulaient rassurants à son sujet. «Il y a ce que Ciotti a pu dire dans la campagne interne, et ce qu’on dira dans la présidentielle, croyait l’un. Il dit les choses avec ses mots, mais sur le fond, il n’y a pas de différences extraordinaires : la fermeté de Valérie le rapproche plus de lui que d’un Barnier ou d’un Bertrand.» Pour un autre, le Niçois saurait se montrer pragmatique et modérer ses exigences, soucieux surtout de voir son camp l’emporter en 2022 : «Il veillera à ce que le projet régalien ne soit pas trop édulcoré. Après, c’est vrai, certaines de ses mesures relevaient du slogan, alors que la crédibilité sera centrale» dans la campagne.
Otage de son allié
Ces premiers échanges donneront du grain à moudre à tous les adversaires de Valérie Pécresse. En macronie, on juge déjà la candidate otage de son allié, forcée de multiplier les concessions à la droite radicale. La renvoyant au «pire de la droite», le député Sacha Houlié qui lui a attribué samedi «le programme sur l’immigration de Ciotti, la “vision” sociale de Thatcher, l’idéologie de la Manif pour tous, la même aversion pour la fonction publique que Fillon». A l’extrême droite, au contraire, on invite déjà les amis d’Eric Ciotti à quitter une campagne où, leur assure-t-on, ils ne trouveront jamais leur place.
Pour Pécresse, c’est tout l’enjeu des prochains jours : rassembler son camp sans paraître prisonnière de son remuant cofinaliste, ni d’ailleurs des autres perdants de la primaire et même de l’appareil de LR, parti qu’elle avait quitté en 2019 en le jugeant cadenassé et irréformable. Sur le plan électoral, la manœuvre répond à une double contrainte : s’assurer le soutien de la base de LR tout en s’adressant à un plus large public, pour échapper au second rôle où la réduisaient les derniers sondages. Comment, sans perdre un Ciotti, toucher un électorat modéré souvent oublié des débats de la primaire de LR, et aujourd’hui largement acquis au macronisme ?
Selon l’entourage de Pécresse, il s’agirait moins d’émousser que d’enrichir le programme en développant des sujets sous-traités durant la campagne interne, comme l’écologie, l’éducation et la famille. «L’électorat de Macron est aussi très sensible aux thèmes du déficit, de la dette, de la fraude sociale, de la bureaucratie, ajoute l’un de ses soutiens. Ce sont des sujets qui sont beaucoup traités par Valérie.» Simple en théorie. La pratique, on commence à le voir, s’annonce plus délicate.