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Libération
2022, voyage au centre de l'abstention

A Oyonnax, «quand les politiques n’ont plus besoin de toi, ils t’oublient»

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Pendant la campagne présidentielle, «Libération» interroge des groupes de Français qui ont choisi de ne pas ou plus voter. Vont-ils réutiliser leur carte d’électeur en avril ? Dans la ville ouvrière de l’Ain, les habitants se désintéressent des partis politiques.
A Oyonnax (Ain), le 28 janvier lors du déplacement de Valérie Pecresse, candidate LR à la présidentielle. (Albert Facelly/Libération)
par Maïté Darnault, Envoyée spéciale à Oyonnax (Ain)
publié le 3 février 2022 à 9h11

C’est à Oyonnax, petite ville industrielle de l’Ain, que Valérie Pécresse a fait une halte, ce vendredi 28 janvier, pour parler de santé, avant de visiter le lendemain la centrale nucléaire du Bugey toute proche. Joey n’était même pas au courant de sa venue. L’élection présidentielle – et la politique en général – continue à lui «passer au-dessus de la tête», souffle celui qui n’a pas l’intention d’aller à l’isoloir en avril. Au moment où la candidate Les Républicains donnait son meeting à Valexpo, la salle de congrès d’Oyonnax, il s’occupait de l’entraînement d’un groupe d’enfants : le jeune homme de 19 ans est apprenti éducateur sportif au club de foot local. «Pour moi, la droite, c’est le racisme, tranche-t-il. Et comme je ne me tiens pas informé, je n’ai pas d’avis sur cette personne en particulier.»

«Trop tôt pour se décider»

Dans sa ville, le premier tour du scrutin de 2017 a propulsé le Front national en tête devant François Fillon. A l’issue du second tour, Marine Le Pen a remporté plus de 35 % des voix. Des scores qui font grimacer Abdallah, 60 ans, et Mohamed, 66 ans. Retraités, les deux frères profitent du soleil rasant de fin de journée sur un banc, à quelques mètres de Valexpo. Ils ont bien remarqué le manège des caméras aux abords de la salle mais ignorent quelle huile est de passage. Pécresse ou un(e) autre, ils ne comptent pas assister à un meeting. Sans conviction, ils assurent voter «quand il y a un bon programme… Quand on nous amène quelque chose de concret, qu’on s’y retrouve, précise Abdallah. Mais c’est toujours la même chose depuis trente ans, il n’y a rien de nouveau. Tout ce qu’ils vendent, c’est la sécurité».

Et puis il est encore «un peu trop tôt pour se décider», balaie l’ancien technicien, «plutôt à gauche», qui a commencé à travailler à 16 ans dans la plasturgie, «comme tout le monde ici», sourit-il. Mohamed, chauffeur durant trente-trois ans, se remémore une «longue période de chômage dans les années 90», un moment angoissant où il cherchait «n’importe quel travail». Alors ce qu’il attend des candidats à la présidentielle aujourd’hui, c’est la promesse de «l’emploi pour les jeunes» et de «s’occuper des vieux qui ont trimé toute leur vie». «Les politiques viennent voir les électeurs deux ou trois mois avant le vote et après, tu ne vois plus personne pendant cinq ans, ils n’ont plus besoin de toi, ils t’oublient», assène-t-il.

«Plus personne ne croit aux partis»

Les deux hommes nés au Maroc sont fiers de raconter comment leur père et leur oncle, grutier et maçon, qui ont immigré à Oyonnax en 1964, «ont construit la ville». «Il n’y avait rien ici», dit Mohamed en désignant d’un geste de la main les grands bâtiments qui entourent Valexpo. Ils sont fiers aussi d’égrener les métiers de leurs enfants, quatre chacun, «tous bac + 5 ou 6», qui bossent pour la plupart en Suisse, à une heure de route : deux avocates, une DRH, un comptable, l’une dans le commerce international, un autre dans l’horlogerie… «Comme nous, on a un peu galéré, on s’est appliqué pour qu’ils fassent de longues études, qu’ils aient une meilleure vie», dit Abdallah. Quel(le) candidat(e) pourrait décider leur progéniture à revenir en France ? «Ça va être compliqué, estime ce dernier. Les jeunes ne sont plus intéressés par la politique car plus personne ne croit aux partis.»

A l’exception des militants, comme ceux venus faire la claque au meeting de Pécresse ce vendredi – plus de 500 selon le chauffeur de salle, près de 1 000 selon l’estimation farfelue du député LR de l’Ain Damien Abad, qui a précédé la candidate à la tribune. Une majorité de têtes grisonnantes ou dégarnies, équipées d’un petit drapeau français à agiter et priées de faire des «Valérie, Valérie» enthousiastes à son entrée en scène.

«Les gens sont désabusés»

Victoire (1), depuis «toujours» à Oyonnax et adhérente à LR depuis une dizaine d’années, aurait préféré venir écouter Éric Ciotti, elle se contentera de Valérie Pécresse. «Elle doit rester ferme, sans trop en faire», avertit-elle. Accordant dix minutes en fin de discours à son projet sur la santé, Pécresse a surtout insisté sur son envie de «restaurer l’autorité», de «remettre de l’ordre […] dans nos frontières, dans nos comptes, dans la rue, dans nos écoles». Et Victoire n’était pas la dernière à applaudir. La dame de 76 ans, femme au foyer mariée à un chef d’entreprise ne «comprend pas trop ce désintérêt» de la politique qui affecte grand nombre de ses concitoyens. «Les gens sont désabusés, analyse-t-elle. Mais la conséquence est que le vote ne représentera pas l’idée générale.»

(1) Le prénom a été modifié

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