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A Perpignan, Louis Aliot imprime sa marque

Après Béziers et Carcassonne, Marine Le Pen s’invite ce dimanche dans la ville catalane, tombée dans l’escarcelle du RN lors des dernières municipales. Depuis, son maire Louis Aliot s’emploie à redorer le blason du centre-ville, symbole de son action politique. Une stratégie efficace déjà éprouvée par Robert Ménard à Béziers.
Une rue du centre-ville de Perpignan, le 6 janvier. (David Richard/Transit pour Libération)
par Sarah Finger, correspondante à Montpellier et photos David Richard. Transit
publié le 9 janvier 2022 à 8h10

«C’est terrible à dire mais depuis l’élection d’Aliot, ça se passe plutôt bien.» Kevin, cogérant d’un bar associatif et d’une cantine solidaire situés à deux pas de Saint-Jacques, le quartier gitan implanté au cœur de Perpignan, s’étonne lui-même de sa confession. Certes, ajoute Kevin, le maire RN «n’a pas de projet ambitieux pour aider les quartiers populaires, ni pour lutter contre la drogue et la précarité» qui rongent la ville et sa périphérie. Mais il admet que l’élection de Louis Aliot, en juin 2020, n’a pas provoqué le tsunami redouté par ses opposants. «Soit les gens sont très contents, soit ils s’attendaient à pire», raconte Nicolas, patron d’une crêperie. «Moi, en tant qu’Espagnol breton, j’ai du mal avec Aliot… C’est difficile à reconnaître, mais honnêtement depuis qu’il est là, les rues sont plus propres et c’est un détail qui change tout. Du temps de l’ancien maire, les employés municipaux chargés de nettoyer la ville ne foutaient rien. Ils ne passaient pas dans ma ruelle pendant des semaines, parfois pendant des mois. Ce n’est plus du tout le cas.»

«Difficile d’avoir du recul»

Propreté et sécurité : les priorités affichées par Louis Aliot pour le centre-ville de Perpignan ont été captées 5 sur 5 par les commerçants comme par les riverains. Une retraitée, rencontrée entre la rue de l’Enfer et celle de l’Ange (ça ne s’invente pas), résume : «Il y a plus de nettoyage public qu’avant, on voit beaucoup plus la police municipale, elle fait davantage de contrôles, elle est plus réactive.» Pourtant, on sent vite poindre au détour des discussions un certain scepticisme, comme chez Pascal, gérant d’une boutique d’alcools : «C’est encore difficile d’avoir du recul sur l’action d’Aliot, du fait de la crise sanitaire. Personnellement, je reste assez mitigé. Ce qui est sûr, c’est que la surveillance s’est accrue. On voit arriver de nouveaux migrants mais les anciens SDF qu’on connaissait, on ne les voit plus. Ils ont peut-être été déplacés…» Les opposants politiques au RN sont quant à eux catégoriques : «La ville n’est pas plus dynamique et continue à se dégrader, affirme Agnès Langevine, candidate écologiste aux dernières municipales. Idem sur la sécurité : la violence augmente toujours. Aliot est d’ailleurs lui-même entouré de gardes du corps !»

Redorer le blason du centre-ville, lancer la «reconquête» du cœur de la cité : ces objectifs ressemblent à s’y méprendre à celles de Robert Ménard, le maire de Béziers. Elu en 2014 avec le soutien du FN, puis réélu haut la main en 2020, Robert Ménard parvenait à redonner une image plus proprette et guillerette à un hypercentre délaissé, déclassé, déconfit. Louis Aliot s’est visiblement donné la même mission à Perpignan, où le tableau n’est guère plus reluisant : frappé par la concurrence des zones commerciales tentaculaires qui ont poussé dans sa périphérie, le cœur de cette ville catalane bat au ralenti. Le sentiment d’insécurité a chassé les professions libérales vers des quartiers plus calmes, tandis que les classes aisées quittaient le centre pour résider dans les villages alentour, laissant la place aux marchands de sommeil. «Chaque soir, je ferme plus tôt à cause du risque de braquage, raconte la patronne d’une bijouterie. Mes clientes vivent à l’extérieur de la ville, elles n’osent plus venir dans le centre.»

«Faire le ménage dans une mairie longtemps marquée par le clientélisme»

Perpignan porte les stigmates de cette désolation : magasins à louer, pas-de-porte délaissés, boutiques fermées ont rétréci le parcours marchand à sa plus simple expression. «Ça fait des années qu’on manque d’attractivité et qu’on perd de la clientèle», se désole Valérie Nomico, présidente de l’Union des commerçants et artisans de Perpignan. «Parmi mes clients, la majorité pense qu’on ne pouvait pas faire autrement que de changer d’équipe municipale. Aliot essaie de faire le ménage dans une mairie qui a longtemps été marquée par le clientélisme. J’espère qu’il va faire bouger les choses. D’ailleurs, il vient d’embaucher un manager de centre-ville.»

Si les vues des patrons de Béziers et Perpignan convergent, leur style diffère radicalement, comme en témoigne le dernier bulletin municipal de la commune catalane. Louis Aliot y évoque le rachat par la Ville des Dames de France, un splendide bâtiment de la Belle Epoque tombé en désuétude. «J’ai pris mes responsabilités», commente sobrement Aliot en une. Or en 2015, Robert Ménard investissait lui aussi dans le rachat d’un bâtiment historique similaire, à l’enseigne des Galeries Lafayette. A l’époque, Ménard avait placardé à Béziers 130 affiches outrancières contre la propriétaire du groupe Galeries Lafayette, puis relaté dans son bulletin municipal ce «sauvetage» du bâtiment dans une mise en scène façon Star Wars. C’est peut-être cela même qui séduit discrètement les Perpignanais : l’extrême droite certes, mais sans les excès.