Comment construire un gouvernement de coalition ? Au moment où la France s’apprête à former un gouvernement avec plusieurs partis, le quotidien belge le Soir a publié un «petit tutoriel à l’usage de nos amis français». «Françaises, Français, vous savez que quand la situation est délicate, vous pouvez compter sur vos amis belges», peut-on lire dans l’éditorial humoristique publié dimanche, après les résultats des élections législatives françaises. Puisque aucun parti ni «bloc» politique n’a obtenu de majorité absolue au sein de la nouvelle Assemblée nationale, une coalition sera nécessaire. Monarchie constitutionnelle de type parlementaire, la Belgique a justement acquis un «fameux savoir-faire en la matière». Parfois, il est vrai que les discussions s’éternisent. Nos voisins ont même vécu 541 jours sans gouvernement de plein exercice entre 2010 et 2011. Un record pour le pays. Dix années plus tard, un accord entre sept partis a donné naissance à une large coalition gauche-droite dirigée par le libéral flamand Alexander De Croo… 493 jours après le scrutin législatif.
Pour faire face à ce délicat exercice, le journal belge donne plusieurs conseils au président Emmanuel Macron et aux Français : «Restez zen. Sachez qu’au début, personne ne voudra gouverner ensemble. En campagne, vous l’avez vu, ils se sont copieusement insultés, détestés, ont prononcé des “jamais” des “c’est eux ou nous” tellement définitifs. Cela ne doit pas vous effrayer. Sachez qu’en général, ce qui est vrai le samedi avant les élections ne l’est plus le lundi d’après, c’était pour rire.» Ou encore : «Commencez petit. On sait votre tendance à la grandiloquence, mais on ne devient pas belge du premier coup. Idéalement, commencez par de petites coalitions, genre deux ou trois partis.» Suivez le guide ! Les Belges sont eux-mêmes en plein processus de formation d’un gouvernement de coalition, après les élections fédérales qui se sont tenues le même jour que les européennes.
En Allemagne
Une coalition «en feu tricolore»
Comme la Belgique et à l’inverse de la France, la grande majorité de nos voisins européens, chez qui le système parlementaire prédomine, sont habitués à avoir à leur tête des dirigeants ne disposant que d’une majorité relative. Au sein de l’Union européenne, 22 pays sont d’ailleurs aujourd’hui gouvernés par des alliances entre partis. A commencer par l’Allemagne, où les coalitions sont la marque de fabrique du système politique parlementaire de l’après-guerre. Depuis 1949, le gouvernement allemand n’a reposé qu’une seule fois sur une force politique unique, la CDU d’Adenauer, pendant quatorze mois (en 1960-1961). Une exception. Depuis fin 2021, l’Allemagne est gouvernée par la coalition dite «en feu tricolore» du chancelier Olaf Scholz, qui associe des partis sociaux-démocrates, libéral et écologiste. Le parti d’extrême droite AfD reste exclu de l’arc républicain.
En Italie
Des alliances mouvantes
Après la chute du régime fasciste de Benito Mussolini, les fondateurs de la République ont voulu, en 1946, un système qui évite de donner trop de pouvoir à un seul parti ou individu. Mais l’instabilité politique est notoire en Italie – presque 70 gouvernements y ont été formés depuis –, marquée par des coalitions mouvantes et de courte durée. En 2021-2022, l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi, appelé à la rescousse pour sortir le pays du marasme, fut à la tête d’une coalition qui rassembla des partis antagonistes – de l’extrême droite (à l’exception de Fratelli d’Italia) à la gauche – avant d’imploser.
Giorgia Meloni, leader du parti post-fasciste Fratelli d’Italia, dirige le gouvernement depuis octobre 2022, à la tête d’une coalition avec deux autres partis, l’un d’extrême droite (la Ligue du Nord), l’autre conservateur (Forza Italia). Elle a proposé de modifier la Constitution pour faire élire le chef du gouvernement au suffrage universel direct, selon elle pour combattre l’instabilité.
En Espagne
Une décennie d’apprentissage des coalitions
Pendant plusieurs décennies, le bipartisme a été la norme en Espagne : le Parti populaire (PP, droite) et le Parti socialiste (PSOE, gauche) ont alternativement détenu la majorité absolue. Mais ce bipartisme a été remis en cause fin 2015 avec l’entrée en force au Parlement du parti libéral Ciudadanos et du parti de gauche radicale Podemos. L’Espagne a alors connu quatre élections générales en quatre ans, jusqu’à fin 2019, date à laquelle le PSOE s’est allié à Podemos pour former le premier gouvernement de coalition du pays depuis la fin de la dictature franquiste en 1975, sous la direction du socialiste Pedro Sánchez. Les deux partis n’ayant pas la majorité absolue au Congrès des députés, ce gouvernement minoritaire avait besoin du soutien ponctuel des indépendantistes basques et catalans pour faire passer ses principales réformes.
Pedro Sánchez a répété la formule après les élections de juillet 2023, pourtant remportées par le PP – car la droite n’a pas pu bâtir une majorité, même en s’alliant avec l’extrême droite de Vox. Il a alors formé une coalition minoritaire avec Sumar, plateforme d’extrême gauche qui a pris la place de Podemos et obtenu l’appui des partis régionaux, notamment (pour la première fois) le parti indépendantiste catalan Junts. En contrepartie, il a dû accepter de faire voter une loi d’amnistie pour les indépendantistes catalans impliqués dans la tentative de sécession avortée de la Catalogne de 2017. Cette alliance hétéroclite lui a permis d’être investi en novembre pour un nouveau mandat de quatre ans, mais Sánchez dépend désormais du bon vouloir de Junts pour gouverner.
Aux Pays-Bas
L’art du consensus
Dans le système politique néerlandais très fragmenté, où aucun parti n’est assez fort pour gouverner seul, les élections sont généralement suivies de mois de tractations (103 jours en moyenne depuis 1946) pour former un gouvernement de consensus, pendant lesquels le cabinet sortant gère les affaires courantes. Il a fallu 271 jours pour former le dernier gouvernement de coalition de droite et du centre de Mark Rutte en 2021, un record.
L’actuel accord de coalition, menée par l’extrême droite de Geert Wilders, a été trouvé en mai, près de six mois après les élections. Le gouvernement s’appuie, comme souvent, sur une majorité absolue au Parlement. Mais ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, en 2010-2012, le premier gouvernement de coalition de centre-droit formé par Mark Rutte n’avait qu’une majorité relative au Parlement et devait composer avec le soutien extérieur du Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders.
Au Parlement européen
Des alliances de raison
L’Union européenne, elle aussi, est rompue à la pratique des coalitions. Son Parlement, qui compte 720 eurodéputés, est actuellement composé de sept groupes politiques. Aucun n’a jamais eu, à lui seul, de majorité absolue. La droite européenne, réunie au sein du groupe du Parti populaire européen (PPE, 189 sièges), demeure le premier groupe politique de l’hémicycle, loin devant les sociaux-démocrates (135 sièges), en deuxième place. Ces deux groupes ont longtemps gouverné ensemble. En 2019, la coalition s’est élargie aux libéraux.
Après les élections européennes du 9 juin, un quatrième groupe (écologiste) pourrait les rejoindre. Ni la fragmentation du Parlement ni la poussée des droites radicales et extrêmes ne devraient donc entraîner une paralysie de l’institution. Une leçon pour l’Assemblée nationale française ? A Strasbourg, malgré leurs profondes divergences idéologiques, des votes conjoints ont parfois lieu entre le PPE et la Gauche unitaire européenne (GUE), le groupe politique au sein duquel siègent neuf députés de La France insoumise.