Il lui parle du salaire parental pour les femmes au foyer, du déremboursement de l’interruption volontaire de grossesse ou encore de la suppression de l’aide médicale d’Etat pour les étrangers. Ostensiblement, elle le snobe, trie ses fiches et finit par étaler la Voix du Nord sur la grande table en verre de l’émission Des Paroles et des Actes. Ce soir de février 2012, sur le plateau de France 2, Jean-Luc Mélenchon débat contre Marine Le Pen. Enfin, essaie. Le chef de file du Front de gauche a beau attaquer le programme de l’extrême droite, la nouvelle présidente du Front national refuse de lui répondre. «Je ne peux pas débattre avec la voiture-balai de monsieur Hollande. […] Vous n’êtes pas un vrai candidat. […] Vous n’êtes pas du tout au même niveau électoral que moi», lui décoche-t-elle, entre autres amabilités. Annoncée troisième de l’élection, la candidate tente alors de se hisser à la table des mastodontes Hollande et Sarkozy, et voit d’un mauvais œil cette petite finale face à un Mélenchon qui a d’ores et déjà annoncé voter pour le socialiste au second tour.
Interview
Douze ans plus tard, c’est au tour de l’extrême droite de courir après le tribun de la gauche radicale, pour exiger un débat. «J’appelle le Nouveau Front populaire à sortir de l’ambiguïté : Jean-Luc Mélenchon s’est déclaré candidat au poste de Premier ministre, une majorité de candidats NFP qui sont qualifiés au second tour le sont sous la bannière de LFI, et moi je souhaite débattre projet contre projet avec une alliance qui représente un péril existentiel pour la nation», a provoqué, lundi matin, le président du RN, Jordan Bardella. Désormais, seul l’insoumis compte aux yeux des lepénistes, qui résument toute l’union de la gauche à cette seule figure. Quitte à enjamber la joute prévue avec la patronne des écolos, Marine Tondelier.
Le Nouveau Front populaire est paré de tous les vices
La nouvelle donne en dit, certes, long sur le leadership conquis par Mélenchon sur la gauche. Elle révèle aussi la faculté du RN à changer d’adversaire privilégié, en fonction de ses intérêts du moment. Ennemie préférée des macronistes, Marine Le Pen a longtemps défendu le clivage entre «patriotes» et «mondialistes», comme le nouvel axe redessinant le paysage politique hexagonal. Cet affrontement avait l’avantage d’asphyxier la gauche et la droite traditionnelles en installant un duel entre deux contraires, aux sociologies et géographies caricaturalement opposées. Face aux catégories sociales supérieures des grandes métropoles, Le Pen avait même tourné une vidéo, en 2017, pour appeler les électeurs insoumis à «faire barrage à Emmanuel Macron».
Sitôt les résultats connus, dimanche soir, le RN a vite troqué son adversaire favori. Exit le «camp présidentiel encore largement désavoué», qui «n’est plus en mesure de l’emporter». «Désormais le choix est clair et deux chemins s’offrent à la France, a martelé Bardella dans son allocution. D’un côté l’alliance du pire, celle du Nouveau Front populaire rassemblée derrière Jean-Luc Mélenchon, qui conduirait le pays au désordre, à l’insurrection et à la ruine de notre économie. De l’autre, l’union nationale que j’ai l’honneur de conduire aux coté de Marine Le Pen, Eric Ciotti et de nos alliés.» A grand renfort d’exagérations, voire de fausses informations, le NFP est paré de tous les vices, accusé de vouloir «ouvrir grand les vannes de l’immigration et libérer 20 % des détenus». Il signifierait «une régression inédite de l’ordre public, un recul sans précédent de nos libertés, […] des augmentations massives de taxes et d’impôts frappant la France du travail», met en garde l’aspirant Premier ministre dans une Lettre ouverte aux Français publiée lundi matin. En plus de vouloir remettre en cause les deux lois macronistes, soutenues et portées par la droite, contre les squats – et donc de «piétiner le droit à la propriété privée» –, et contre le «séparatisme islamiste», la gauche est accusée d’antisémitisme.
Jordan Bardella a repris à son compte le manichéisme macroniste
Le jeune homme va même jusqu’à qualifier ses adversaires d’«incendiaires», comme au temps de la Commune de Paris. «J’avoue que je suis assez surpris de voir un président de la République venir au secours d’une extrême gauche violente qui appelle à l’insurrection», a -t-il appuyé lundi soir sur TF1. Quoi de plus naturel, chez un Bardella qui tente depuis deux ans de redessiner un clivage droite-gauche encore mal vu dans sa famille politique. «Le grand affrontement qui vient, c’est ordre contre désordre», confiait l’apprenti-Badinguet (le surnom de Napoléon III) au Parisien, en juillet 2022, préfigurant que «le clivage [allait] réémerger sous cette forme» et annonçant la fin du macronisme. La suite ne lui a pas donné tort, même si la reconfiguration a pris du temps. La campagne des européennes l’a vu tenter une nouvelle théorie un peu boiteuse mettant aux prises les partisans de la puissance et ceux du renoncement, en reprenant à son compte le manichéisme macroniste. «Je suis le candidat de la raison face aux extrêmes», prétend alors Bardella qui dit aussi combattre «toute forme d’excès».
Marine Le Pen a beau assurer ne pas croire, encore mi-juin dans le Figaro, à «un retour du clivage gauche-droite», elle laisse la première ligne à son poulain qui fait des ravages à droite. La députée du Pas-de-Calais laisse aussi un ancien de l’UMP, Sébastien Chenu, annoncer son intention d’aller braconner chez les LR, en cas de majorité relative du RN, dimanche soir prochain. «Il peut y avoir des députés qui, aujourd’hui, sans être dans notre alliance avec Eric Ciotti, pourraient quand même vouloir que l’Assemblée ne soit pas bloquée», s’est avancé le député du Nord, réélu dès le premier tour. Ce proche de Le Pen, fin connaisseur des rouages de l’Assemblée et surtout de ses élus dont il apprend consciencieusement les noms par cœur, joue le poisson pilote de sa patronne, moins madrée que lui, chuchote aux journalistes qu’il déjeune avec des députés de l’ex-majorité, ou que tel membre du groupe LR pourrait incessamment rejoindre ses bancs.
Une stratégie qui n’a pour l’instant pas porté ses fruits, puisqu’Eric Ciotti, en franchissant le Rubicon, n’a amené dans ses valises qu’une de ses proches, députée elle aussi des Alpes-Maritimes. Même si, sur le terrain, la réalité des relations entre les LR qui n’ont pas suivi le Niçois et l’extrême droite sont loin de tout cordon sanitaire. Preuve en est, la réaction de Frédéric Masquelier maire de Saint-Raphaël, commune du Var collée à Fréjus, la ville de David Rachline, qui déclare dans Var Matin que l’extrême gauche serait «le plus grand des dangers». Proche du Cannois David Lisnard, Masquelier n’en cogère pas moins depuis des années son agglomération avec le vice-président du RN. De quoi faciliter les alliances, après le 7 juillet.