Les concurrents d’Anne Hidalgo l’ont longtemps accusée de porter la vision floue d’une sociale-démocratie essoufflée. Ses soutiens, en réponse, ont souvent assuré que le programme allait les souffler. Alors que leur candidate stagne autour de 5% des intentions de vote, les socialistes répètent depuis des mois que tout ira mieux une fois le projet présenté. Ce sera chose faite jeudi matin dans une longue interview à France Inter et lors d’une présentation de ses 70 propositions rassemblées en «trois priorités» à la presse. La maire de Paris doit indiquer le chemin qu’elle entend emprunter pour «réconcilier» une France de plus en plus «injuste et divisée».
Salaires : augmentation du minimum légal et limitation des plus gros
La candidate socialiste, qui veut mettre la question sociale au cœur de son projet, promet d’augmenter les salaires. Première étape : un smic revalorisé de 15%, soit 200 euros net par mois qui feront donc grimper le salaire minimum à 1 450 euros. C’est plus que ses concurrents de gauche : l’insoumis Jean-Luc Mélenchon, l’écologiste Yannick Jadot et le communiste Fabien Roussel proposent une hausse de 150 euros net.
«Il n’y a jamais eu autant de salariés au smic dans des secteurs souvent non délocalisables donc la question de la compétitivité n’est pas entendable, explique Boris Vallaud, député PS des Landes et auteur du projet du parti, qui a largement inspiré celui d’Anne Hidalgo. Il y a en réalité un problème de coût du travail pour les très grosses rémunérations.»
Pour réduire les écarts de salaires, la candidate propose de rendre non déductibles de l’impôt sur les sociétés les rémunérations qui sont vingt fois supérieures au plus petit salaire d’une entreprise. Un écart de 1 à 20, c’est aussi ce que défend Jean-Luc Mélenchon qui, de son côté, veut simplement interdire d’aller au-delà. «C’est à la fois un impératif éthique, une question de décence et un moyen de redistribution. Limiter les trop gros salaires, c’est aussi un moyen d’augmenter les plus bas», explique Boris Vallaud. Pour le reste, les socialistes – c’est dans leur ADN – comptent sur la «négociation». Ils entendent ainsi organiser une conférence sur les salaires avec les organisations patronales et syndicales.
Du côté de la fonction publique, exit la référence au doublement du salaire des profs, promis par Hidalgo cet automne lors de sa déclaration de candidature mais décrié jusque dans son camp pour son caractère jugé démagogique et impossible à mettre en œuvre financièrement. Il s’agit, désormais, de porter la rémunération des enseignants au niveau de celui des cadres.
Au chapitre social, deux ruptures claires avec le quinquennat d’Emmanuel Macron : l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage et le maintien de l’âge légal du départ à la retraite à 62 ans. Le chef de l’Etat, sans préciser quel levier il comptait actionner s’il était réélu, a déjà prévenu qu’il ferait «travailler» les Français «plus longtemps».
Anne Hidalgo promet par ailleurs de rétablir les quatre catégories de pénibilités supprimées par le président sortant : la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition aux agents chimiques. Un retour aux dix critères mis en place par François Hollande en 2014 et critiqués par le patronat pour leur difficulté d’application. «On est prêts à discuter des modalités», tempère Vallaud.
Concernant le temps de travail, pas de passage aux 32 heures, comme le promettent certains à gauche mais une «incitation» des entreprises «à avancer vers la réduction». Pour lutter contre les discriminations salariales, la maire de Paris propose par ailleurs de publier la liste des entreprises qui les laissent perdurer et d’imposer des pénalités. «J’inverserai la charge de la preuve pour qu’il revienne à̀ l’entreprise de prouver qu’elle n’est pas coupable de discrimination en matièrè de salaires», promet aussi Hidalgo. Charge de la preuve également inversée pour les dirigeants des plateformes numériques type Uber, afin que leurs employés soient salariés et non indépendants.
Ecologie : un «ministre du Climat, de la Biodiversité et de l’Economie»
Un pas en avant dans le social, un pas en avant dans l’écologie. Les socialistes, qui ne veulent pas se laisser écraser par les écolos, veulent marcher sur leurs deux jambes. Ils proposent donc d’inscrire dans la Constitution la protection des biens communs et de la biodiversité, le principe de non régression dans la protection de l’environnement et l’obligation de lutter contre le réchauffement climatique. Une mesure défendue depuis longtemps par Europe Ecologie-les Verts (EE-LV), déjà lancée par Emmanuel Macron, tout en sachant qu’il n’avait pas l’aval du Sénat nécessaire à l’organisation d’un référendum pour modifier la loi fondamentale.
Nouveauté dans le langage socialiste : Anne Hidalgo parle désormais de «planification écologique», expression qui figure au lexique (et au programme) de Jean-Luc Mélenchon depuis 2012 et moquée jusqu’à présent par certains roses qui voulait caricaturer leur ancien camarade en adepte du Gosplan soviétique… «Jean Monnet l’utilisait aussi, balaie Vallaud. Personne n’est propriétaire des termes. L’intervention de l’Etat est quand même dans l’ADN des sociaux-démocrates. L’idée, c’est d’organiser la transition avec la puissance publique.»
Sous la présidence Hidalgo, le numéro 2 du gouvernement serait un ministre du Climat, de la Biodiversité et de l’Economie. Egalement parmi les mesures vertes, on retrouve la surtaxation des placements liés aux énergies fossiles et l’instauration d’un ISF climatique, soit un impôt sur la fortune rétabli et fléché vers la transition écologique. Une proposition proche de celle de Yannick Jadot, qui défend un impôt sur la fortune indexé sur les émissions de gaz à effet de serre induites par les placements financiers des ménages les plus riches. Les deux s’appuient sur le rapport du World Inequality Lab, publié en 2021, qui montre que les 10% les plus fortunés sont responsables de la moitié des émissions mondiales de CO2.
«L’écologie, il y a ceux qui en parlent et ceux qui la font», défend Vallaud pour bien insister, comme le font souvent les socialistes, sur leur capacité à mettre en œuvre des politiques environnementales, contrairement aux écolos qui dirigent depuis peu de temps de grandes collectivités. La preuve en serait le plan de rénovation énergétique proposé : «Aucun frais à avancer au moment des travaux et le remboursement – dont l’ampleur dépendra du niveau des revenus – se fera au moment de la revente ou de la succession», explique le député.
Les socialistes insistent aussi sur le mot «social» pour signifier sans le prouver que leurs concurrents verts négligent cet aspect de la transition environnementale. «Nous, on prend appui sur l’urgence climatique pour en faire un levier de transformation sociale», revendique Vallaud qui prend l’exemple de leur plan de relocalisation des activités économiques, «conçuȩ comme un moteur de la transition». «Nous organiserons cet effort national autour de quatre grandes odyssées, qui correspondent aux grands besoins actuels et futurs : la santé, l’énergie, la mobilité et le numérique», peut-on lire dans le programme.
Les aides publiques aux entreprises seront par ailleurs conditionnées au respect de critères sociaux et environnementaux. Comme les écolos. Sur les énergies, enfin, «objectif 100% renouvelables» et une sortie du nucléaire non «précipitée». «Horizon 2050», précise Vallaud. Soit le même calendrier que les écolos, quand Mélenchon espère plutôt l’avancer à 2030.
Démocratie : reconnaissance du vote blanc, droit de vote à 16 ans, aux étrangers aux élections locales…
Pour remobiliser les citoyens, Anne Hidalgo promet de «faire du référendum un mode normal de participation». Elle entend donc instaurer un référendum d’initiative citoyenne, revendication des gilets jaunes, et abaisser le seuil du référendum d’initiative partagée à un million de signatures. La maire de Paris veut aussi prendre en compte le vote blanc, abaisser le droit de vote à 16 ans et l’accorder aux étrangers pour les élections locales, promesse des socialistes à chaque présidentielle, jamais tenue quand ils sont élus.
Pour elle, pas de VIe République comme les insoumis et les écolos mais un «retour aux fondamentaux de la Ve» avec «un Président garant de l’essentiel et qui ne se mêle pas de tout», peut-on lire dans le projet. La socialiste propose par ailleurs un mode de scrutin mixte élisant une partie des députés à la proportionnelle et de replacer les législatives avant la présidentielle. Un retour sur l’inversion du calendrier électoral – pourtant acté sous Lionel Jospin – accusé d’avoir renforcé la présidentialisation, les députés étant élus en fonction des résultats de la présidentielle.
Celle qui a voulu une «équipe de France des maires» et parle souvent de son expérience à Paris veut par ailleurs mettre en place un «permis de faire» qui permettra aux collectivités d’expérimenter des dérogations aux règles nationales. Sur l’Union européenne, pas de changement de doctrine à l’heure de la tendance souverainiste. L’Europe, pour la socialiste, «est aujourd’hui clairement l’instrument de notre souveraineté». «Les règles budgétaires européennes ne doivent plus conduire à̀ l’austérité et être une entrave à la transition écologique et aux investissements d’avenir», insiste-t-elle cependant.
Education, santé et logement en tête des priorités
En plus de ces trois priorités, le programme met plusieurs sujets en avant. L’éducation, avec la suppression de Parcoursup et la lutte contre le harcèlement scolaire érigé en «grande mobilisation du quinquennat», la santé, avec une augmentation du nombre de médecins formés par an ou encore la santé mentale, sacrée «grande cause» de sa présidence. Sur le cannabis, contrairement aux Verts, pas de légalisation promise mais une «conférence de consensus» sur ce sujet qui «angoisse les Français».
Comme elle l’avait déjà annoncé, Anne Hidalgo veut par ailleurs autoriser le droit à mourir. Autre thématique forte : le logement, avec notamment un «bouclier» qui, par une allocation logement complémentaire sous conditions de revenu, permettra de ne pas dépenser plus du tiers de ses revenus pour se loger.
Le tout, financé par «la réduction des dépenses publiques défavorables à l’environnement, la réorientation des financements européens du plan de relance, la lutte contre la fraude fiscale, les recettes tirées de la bonne santé de notre économie et l’établissement d’une fiscalité plus juste».
Au-delà de l’ISF climatique, les socialistes veulent agir sur la succession en abaissant la fiscalité pour 95% des Français et en l’augmentant sur les très hauts patrimoines, supérieurs à 2 millions. La mesure doit aussi financer les 5 000 euros promis à chaque jeune, le jour de ses 18 ans, sans conditions de revenus, pour se lancer dans la vie. «On organise ainsi une forme de redistribution», explique Boris Vallaud. Le projet dévoilé, reste à voir si la campagne va décoller.