Un seul parti vous manque et tout est déplumé. Libération s’était rendu au précédent rassemblement, le 25 février dernier, contre le projet de déménagement-agrandissement du centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique). A côté des étendards à cœurs vendéens de l’association intégriste Civitas, à genoux pour la prière en latin sur le parvis de l’église en granit, une bonne dizaine d’étendards Reconquête pavoisaient en bleu et blanc sous les fenêtres de la mairie (divers droite), favorable, elle, au Cada. De quoi faire oublier, un peu, que l’extrême droite se comptait trois fois moins nombreuse que la gauche, réunie le matin même pour défendre ce projet d’accueil.
Près de deux mois ont passé. Une nouvelle mobilisation anti-Cada s’est donné rendez-vous, samedi après-midi au même endroit. Même ciel laiteux, même contre-manifestation de gauche le matin, mêmes regards effrayés des habitants du coin devant l’impressionnant dispositif policier déployé pour empêcher ultra gauche et ultra droite d’en venir aux mains. Mais cette fois, les banderoles zemmouriennes sont restées dans les armoires. Les militants aussi : le parti de l’ancien polémiste a interdit à ses ouailles de se mêler aux divers groupuscules présents. Il faut dire que depuis février, la tension est montée d’un cran : en mars, un cocktail molotov a été lancé nuitamment contre les deux voitures du maire de Saint-Brevin, Yannick Morez. Le feu s’est propagé à son domicile. Le Rassemblement national, plus expérimenté, n’avait pas attendu cela pour se désolidariser de l’initiative.
Sardou et Johnny entonnés par une chanteuse lyrique
Aux côtés de Civitas, on ne trouve plus que les pétainistes du Parti de la France, les royalistes de l’Action française, les Patriotes de Philippot et les... vendéens du Rassemblement vendéen, microscopique association ouverte aux déçus de Reconquête. Tout ce petit monde ne dépasse pas la cinquantaine de personnes au poil majoritairement chenu, qui, sur le coup de 14 heures, se met à tanguer laborieusement, sur les airs de Sardou ( «Ne m’appelez plus jamais France») et de Johnny ( «Mon pays, c’est l’amour») entonnés par une chanteuse lyrique.
On trouve aussi Roland Hélie, de Synthèse nationale, un groupuscule sévissant surtout en Bretagne. L’homme, rond et affable, regrette la stratégie des zemmouriens. «J’ai l’impression qu’ils transposent l’éternelle quête de dédiabolisation du RN, se désole-t-il. C’est dommage car leur intérêt était d’apparaître comme une force au-dessus des mises à l’index...» A deux pas, Eric Mauvoisin, l’ancien délégué départemental de Reconquête en Vendée, opine du chef. «Cet esprit de dédiabolisation, je le conçois pour le RN, qui est à 42 %, mais pas chez nous qui sommes à 4 % ! Notre intérêt est d’être visibles sur le terrain, car les gens ne nous connaissent pas», maugrée l’homme, président du Rassemblement vendéen. Un peu plus loin, Christian Bouchet, figure des milieux nationalistes-révolutionnaires, ancien du FN, du Mouvement national républicain de Bruno Mégret, puis d’Unité radicale (dissoute après l’attentat d’un de ses membres contre Jacques Chirac en 2002), ironise sur l’aventure zemmourienne : «Ils sont en train de virer les plus radicaux. Leur chute ressemble à celle du MNR mais en plus rapide, car le MNR avait une expérience et des cadres.»
«Chant des Partisans» et «Europe, jeunesse, révolution»
Sur le coup de 15 heures, son œil s’éclaire. Une grosse cinquantaine de jeunes encagoulés débarque sur la place de la mairie. Des hooligans d’extrême droite, venus pour en découdre avec les nombreux antifas, présents depuis le matin dans le bourg. Ils sont accueillis en sauveurs par les organisateurs du rassemblement, qui voient la moyenne d’âge se diviser par deux en même temps que l’affluence doubler. «Bienvenus aux jeunes patriotes qui nous rejoignent !», acclame Pierre Cassen, de l’association Riposte laïque. Applaudissements enthousiastes. Bouchet commence à pianoter sur son téléphone : «Plus de la moitié des présents ont moins de 25 ans et sont pour le moins radicaux. Les antifas commencent à s’inquiéter pour leurs couilles...» Puis : «Il y a un décalage total entre les organisateurs et la majorité des présents. Les organisateurs donnent la parole à des croulants et des marginaux mais n’accordent pas un seul instant la tribune à la jeunesse...»
Ce «décalage» éclate au grand jour quand la partie âgée de l’extrême droite démarre le Chant des Partisans... auquel les jeunes répondent «Europe, jeunesse, révolution», slogan des nationalistes-révolutionnaires, plus héritiers des Brasillach et de Doriot que de Joseph Kessel... Bouchet jubile : vingt ans après avoir publié son ouvrage les Nouveaux nationalistes, série d’entretiens avec des figures montantes de la mouvance nationaliste extrême, l’homme semble vivre un renouveau de la jeunesse radicale. Au point que les organisateurs du rassemblement – eux-mêmes guère soupçonnables de donner dans la demi-mesure - se mettent à implorer les encagoulés : «S’il vous plait, ne faites rien qui pourrait nuire à l’image de notre rassemblement», supplie une membre du collectif anti-Cada.
Trop tard. Ces jeunes se répandent déjà dans les rues à la recherche des «antifas» de la manifestation matinale restés dans les parages. Ces derniers s’en prennent principalement aux forces de l’ordre, accusées de protéger le rassemblement – déclaré – de l’extrême droite. Une voiture d’un des opposants au Cada a été incendiée. Un lourd panache noire grossit dans le ciel. Suivis de près par les CRS, les skins cherchent vengeance. Un malheureux manifestant de gauche, attablé à un bistrot, reçoit un grand coup de poing, par derrière. Les CRS interviennent. Pas d’interpellation à recenser en début de soirée, expliquait la gendarmerie à Libé.