Damien Abad s’est aventuré en macronie comme sur un fil invisible. Le patron des députés LR – jusqu’à sa démission jeudi – semblait ne jamais savoir de quel côté il allait tomber. Serait-il ministre ou se jouait-on de lui pour déstabiliser son parti ? Peut-être un peu des deux. Abad a finalement obtenu le ministère des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. Une belle prise pour la majorité, même si le funambule s’est vu pousser à la porte des Républicains la veille de sa nomination. «Je lui ai signifié qu’on ne pouvait pas attendre le bon vouloir de M. Macron de le prendre ou de ne pas le prendre au gouvernement», a justifié jeudi le président du parti, Christian Jacob, dans un communiqué.
Le député sortant de l’Ain a joué la montre jusqu’au bout, prenant le risque de se mettre toute sa famille politique à dos. Ça n’a pas loupé. Mardi matin, une banale réunion de groupe s’est transformée en procès : «Tu ne peux pas rester comme ça à nous prendre en otage, à nous manquer de respect pour tes positions personnelles», l’a incendié Pierre-Henri Dumont, député du Pas-de-Calais. Déjà en mauvaise posture pour les législatives, le parti se traîne les débauchages vers la majorité sortante comme des boulets supplémentaires.
Son revirement n’a surpris personne
Plus que la trahison, c’est la méthode qui a indigné ses ex-partenaires. Julien Aubert, député du Vaucluse, qui l’estime, justifie : «Si votre femme vous quitte, vous préférez qu’elle vous explique pourquoi, plutôt qu’elle parte sans laisser de mot. Chez nous, ce silence a été ressenti comme du mépris. Le connaissant, cela devait plutôt être de la gêne.» A 42 ans, son revirement n’a surpris personne. Ce n’est pas la première fois qu’Abad change de camp. En 2009, le renégat a quitté le centriste Hervé Morin qui l’avait biberonné pour rejoindre l’UMP. Avant de lâcher Nicolas Sarkozy pour soutenir Bruno Le Maire lors de la primaire de droite en 2016. Le vice-président des LR, Olivier Marleix, pilonne : «Si Marine Le Pen avait gagné, il aurait proposé d’incarner son aile centriste. Cette fébrilité est ridicule.»
Compétitif, fan de sport, l’homme est un ambitieux. Atteint d’arthrogrypose, une maladie rare qui bloque ses articulations, il a été la première personne en situation de handicap lourd à être élu député, à 32 ans. Dix ans avant, diplômé de Sciences-Po, celui qui a échoué deux fois à l’ENA était déjà eurodéputé dans le Sud-Est, avant de s’ancrer dans l’Ain. Le Nîmois aime naviguer en toute liberté. «C’est un type souple», raconte Aubert. La tentation était déjà grande pour lui en 2017, voyant ses copains – Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Franck Riester – passer de l’autre côté un à un. La pensée infusait déjà lorsque le conseiller politique de l’Elysée, Thierry Solère, l’a contacté. «Abad sentait qu’il était sur une ligne minoritaire et qu’il risquait de ne pas être réélu comme président du groupe», complète le député.
«Macron occupe tout l’espace du raisonnable»
En mars, l’élu de l’Ain ne se retenait pas de critiquer dans son bureau Emmanuel Macron, alors que le président tardait à officialiser la candidature à sa propre succession : «C’est insensé de vouloir enjamber la présidentielle comme ça. Imaginez si Sarkozy avait fait ça ! Cela pose une véritable question démocratique.» Le même s’inquiétait au sujet de l’avenir de son parti, évoquant des députés démotivés après la débâcle de Valérie Pécresse à la présidentielle. Et déplorait la dérive de sa famille politique, citant leur candidate employant le terme d’extrême droite de «grand remplacement» lors de son meeting au Zénith de Paris. Le chef des députés LR réfléchissait tout haut : «Aujourd’hui, il y a une prime à la radicalité. Il faut aboyer comme Zemmour ou Mélenchon. Macron occupe tout l’espace du raisonnable.»
Il ne reste que son ami, le maire socialiste de Bourg-en-Bresse Jean-François Debat, pour le défendre : «Abad est quelqu’un d’intelligent, pas sectaire.» Le rose a travaillé avec lui et comprend le choix de sa nouvelle crèche. «Il est d’une droite européenne plus libérale qu’autoritaire. Abad est plus sur la ligne de Macron que sur celle de Laurent Wauquiez ou d’Eric Ciotti qui assure qu’il refuse de voter Macron [face à Marine Le Pen, ndlr] au second tour.» L’édile, dont le camp est déjà endeuillé, refuse de se prononcer sur la question de la fidélité. Les LR jurent avoir déjà enterré leur ex-capitaine.