La mise en scène est trop belle, c’est à se demander si le coup n’était pas monté. Le même jour (jeudi), dans la même ville (Nîmes), Marine Le Pen et Christian Jacob sont venus chacun encourager leurs poulains respectifs pour les régionales de juin en Occitanie : le parlementaire européen Jean-Paul Garraud pour le Rassemblement national et le député du Lot et secrétaire général de son parti, Aurélien Pradié, pour Les Républicains. Les deux mêmes qui s’étaient bien chauffés lors d’un débat télévisé en mars. A une heure d’intervalle, chaque camp a tenu sa conférence de presse de part et d’autre des arènes de Nîmes : un grand hôtel pour les uns, la terrasse d’un café pour les autres. Et les deux candidats ont donné aux journalistes présents en nombre ce qu’ils étaient venus chercher : des pains et des jeux. Mais surtout des pains.
Fidèle à sa réputation de bretteur, Aurélien Pradié, 35 ans, n’a pas épargné son aîné. «Il y a deux manières de faire de la politique : ceux qui font du tourisme et celles et ceux qui ont fait le choix de servir leur territoire», dégaine-t-il en direction de Garraud, qui, lorsqu’il était encore à l’UMP, fut pendant dix ans député de Gironde et conseiller régional en Aquitaine pendant cinq ans. «Quand vous êtes parachuté, vous prenez le risque d’un mauvais atterrissage», conclut le natif du Lot. Son patron, qui a siégé à l’Assemblée avec le candidat RN n’est pas en reste. Christian Jacob siffle : «Jean-Paul Garraud est venu ici parce que les électeurs de Gironde l’ont rejeté [en 2012, ndlr] ! Madame Le Pen lui a offert le gîte et le couvert.»
De l’autre côté de l’arène, c’est la présidente du RN qui se charge des uppercuts. «La réalité, c’est que les LR et LREM ne rassemblent pas, ils fusionnent !» «Il y a les fusions qui font du bruit, comme en Paca et les autres, plus discrètes», poursuit-elle en prenant pour exemple les Hauts-de-France et l’Ile-de-France, sans qu’on comprenne bien pourquoi – Xavier Bertrand et Valérie Pécresse ayant exclu de modifier leurs listes entre les deux tours des régionales. «Et puis il y a les LR qui font élire la gauche et se font hara-kiri en refusant les voix du RN», conclut-elle. En petit comité, Garraud étrille son jeune rival : «Je ne le respecte pas, Pradié c’est le degré zéro de la politique.» Et n’épargne pas son ancien allié : «Jacob, je le connais parfaitement bien. Il se raccroche à la venue de Marine Le Pen ici pour avoir un peu de lumière médiatique.»
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Une journée bien à droite
De fait, lorsque le duo Pradié-Jacob a commencé sa journée, jeudi matin, dans une cave coopérative au sud d’Alès, flashs et micros ne se bousculaient pas encore au portillon. Quelques représentants de la chambre d’agriculture du Gard ont fait le déplacement, ainsi que des élus de la droite locale. Ambiance de franche camaraderie masculine. Jacob boit un verre d’eau, Max Roustan, le truculent maire d’Alès, le vanne. Ancien exploitant agricole, le patron de parti est à son aise, tout comme Pradié qui tape à bras raccourcis sur les «écolos intégristes» qui empêchent les agriculteurs de faire des retenues d’eau. Un élu brocarde l’Etat qui a cédé face aux «chevelus» de Sivens et Jacob en profite pour mettre un grand coup dans les gencives d’Edouard Philippe, dont la première décision au gouvernement, rappelle-t-il, a été d’abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes. «Les voyous et les casseurs se sont dit qu’il suffit d’aller brûler des voitures de gendarmes pour avoir un lopin de terre», s’indigne le patron de LR. La journée commence bien à droite, dans ce coin de Gard où le vote oscille entre RN pour les élections nationales et LR pour les municipales.
Mais pour le programme du jour, Pradié a choisi de ne pas labourer les seuls sentiers convenus et rebattus de la droite. L’après-midi, il a certes prévu d’aller rencontrer des chasseurs, à Nîmes, mais également l’association Via Femina Fama, engagée dans la défense des femmes victimes de violences. Rien d’étonnant, répond le député auteur d’une proposition de loi sur ce même thème, qui préfère les sujets sociaux comme le handicap et la pauvreté aux gros muscles régaliens. Un vrai motif de démarcation, selon lui, avec l’extrême droite. «Depuis trop longtemps, nous avons abandonné ce qui fait la différence entre la droite républicaine et le RN, étaie-t-il. Il y a une différence entre ceux qui veulent faire progresser le droit des femmes et ceux qui veulent le faire reculer. Jean-Paul Garraud a un problème avec ça, je le dis clairement.» Il rappelle un amendement déposé en 2003 par l’ex-député UMP, tentative selon la gauche et une partie de la droite, de remettre en question le droit à l’IVG.
Pour l’heure, il file avec Jacob et sa ribambelle d’élus locaux en direction d’une entreprise agroalimentaire vegan (ici, on prononce Weygand, comme le général). Après la visite, tout le monde goûte à la dernière innovation de la maison : le Veg’gras, sorte d’ersatz vegan de foie gras aromatisé à la truffe. Bien élevé, Pradié fait bonne figure. «La truffe écrase un peu le goût», euphémise de son côté Jacob. En effet, la saveur ne passe pas inaperçue. Au bout d’une grosse heure sur place, ils sont déjà repartis, programme chargé oblige. «On n’est pas là pour faire de la politique spectacle en faisant des sauts de puce comme d’autres aujourd’hui, explique Jacob. Et on est là deux jours pleins.»
Marine Le Pen et ses «stars»
L’amabilité s’adresse à Marine Le Pen qui, elle, fait le déplacement pour la journée. On la retrouve en pleine Camargue, au volant d’un tracteur pavoisé aux couleurs du drapeau français, à une cinquantaine de kilomètres au sud d’Alès, dans une exploitation rizicole et viticole. Derrière elle, au milieu de la rizière boueuse, se sont entassés dans un autre tracteur, les eurodéputés Jean-Paul Garraud et Gilbert Collard. Sur la digue, Julien Sanchez, maire de Beaucaire (Gard) et candidat malheureux à la tête de liste RN pour la région, les regarde, bras croisés. Il se murmure qu’il l’a un peu mauvaise mais il ne laisse rien paraître. Garraud, lui, ne manque pas une occasion de rappeler à quel point il est implanté dans la région. «Depuis trois ans, je suis domicilié dans les Pyrénées-Orientales, je suis né à Toulouse, ma famille est de Martres-Tolosane (Haute-Garonne) et est originaire du Tarn, de l’Ariège et de l’Aveyron», énumère-t-il. Il ajoute avoir fait enfant du ski dans les Pyrénées et conclut : «Cette élection est un vrai retour aux sources pour moi.»
Moins fébrile, Louis Aliot balaie le procès en parachutage intenté par LR d’un revers de main : «Ce sont des mots ça, les gens ici s’en foutent, ils regardent les idées. Aurélien Pradié est le représentant des LR, point.» De son côté, Marine Le Pen fait bien remarquer qu’elle est venue avec nombre de «stars» bien implantées sur le territoire : Collard, Sanchez, Aliot… Mais la «banalisation» voulue et défendue n’est pas achevée. Pour preuve : la visite prévue originellement dans une manade a dû être annulée à cause des «pressions venues de la gauche», subies par son propriétaire, dénonce Garraud, scandalisé. La délégation RN a ainsi dû se rabattre sur une terre où elle n’est pas inconnue puisque la ville de Saint-Gilles a été l’une des premières conquises par le Front national – en 1989, par Charles de Chambrun. La patronne cogne le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, entre deux pieds de vigne brûlés par la gelée d’avril que lui présente l’exploitant – «Ah oui, on voit bien là», s’intéresse-t-elle avant d’enfiler quelques perles du type : «L’agriculture c’est terrible de difficulté et en même temps, c’est essentiel.»
«Comment voulez-vous diriger une région quand vous n’êtes pas foutu d’être accueillis par un des agriculteurs ? C’est elle l’héritière bourgeoise, moi je suis un gamin du Lot.»
— Aurélien Pradié, candidat LR aux Régionales en Occitanie
De retour à Nîmes, elle se lance dans un vibrant réquisitoire contre les «procès en sorcellerie» que doit subir, selon elle, son parti. Sur le manque supposé d’implantation locale du RN, elle avance les chiffres des investitures RN aux départementales, «quatre fois plus que LR, huit fois plus que LREM». On lui reproche de ne pas rassembler ? «Qui est capable d’attirer des profils socioprofessionnels, mais aussi politiques, aussi divers», rétorque-t-elle en citant notamment Frédéric Bort, ancien bras droit de feu Georges Frêche, l’ex-maire de Montpellier et président du conseil régional Languedoc-Roussillon, passé sur sa liste. L’incapacité du RN à gouverner ? «Donnez-nous notre chance !» implore Le Pen, qui entend faire des élections de juin et de celles de 2022 une seule et même séquence politique. Quant à Garraud, il lance un appel à ses «amis» de droite après la «pantalonnade en Paca» : «A tous ces déçus, je leur dis : ne soyez pas inquiets !» professe-t-il. Tous les frontistes présents en sont bien sûr convaincus : l’électorat de base de LR est compatible avec le RN.
«Pas de bidouillages»
A quelques jets de pierre de là, sous les arcs arrondis des arènes antiques, Aurélien Pradié affiche un air détendu. Pour parer aux attaques, il a assuré ses arrières dans son propre camp et fait signer à tous ses candidats un engagement à ne pas fusionner avec une quelconque liste entre les deux tours. Ça, il le martèle. De même que son refus de se retirer au profit de la gauche en cas de risque RN. «Il n’y aura pas de bidouillage car c’est ça qui crée l’abstention», avance-t-il. A la campagne très nationale menée par Marine Le Pen, il entend opposer des thématiques locales pour «véritablement changer la vie des gens», en s’appuyant pour cela sur les élus locaux. «Nous, nous sommes ici chez nous et nous pouvons aller partout. Comment voulez-vous diriger une région quand vous n’êtes pas foutu d’être accueillis par un des agriculteurs ?» grince-t-il en référence à la déconvenue des lepénistes. Au risque pour LR de passer pour une liste de notable ? «C’est elle l’héritière bourgeoise, moi je suis un gamin du Lot», s’agace Pradié.
Encore peu connu du grand public, le numéro 3 des Républicains mise à fond sur ses capacités de puncheur pour créer la surprise. Lui, qui se définit comme «un élu de droite perdu dans une terre de gauche» – longtemps, il fut le seul conseiller départemental de droite dans le Lot et s’enorgueillit d’avoir gagné une circonscription inimaginable pour son camp – croit en sa capacité de renverser le jeu dans l’adversité. Son mentor, Christian Jacob, le regarde avec les yeux doux d’un père empli de fierté. «Aurélien a montré qu’il pouvait relever des combats difficiles, il a la jeunesse, le tempérament, l’énergie et il rassemble derrière lui toutes nos fédérations locales», louange-t-il. Autant de qualités qui font, par exemple en Provence-Alpes-Côte d’Azur pour Renaud Muselier, parfois cruellement défaut dans son parti.
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