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Prise de parole

Dans sa lettre aux Français, Macron estime que «personne ne l’a emporté» aux législatives et qu’il faut «un peu de temps» pour un compromis

Elections législatives 2024dossier
Ce mercredi 10 juillet, le chef de l’Etat s’est adressé aux Français dans une lettre publiée dans la presse quotidienne régionale. Trois jours après la tenue de législatives anticipées, il appelle les «forces républicaines» à «bâtir une majorité solide».
Emmanuel Macron, à la sortie de l'isoloir, dimanche au Touquet. (Mohammed Badra/AFP)
publié le 10 juillet 2024 à 18h19

Il n’avait pas pris la parole depuis les résultats du second tour des élections législatives anticipées, qui se sont soldées par une tripartition de la chambre basse entre le Nouveau Front populaire, le camp présidentiel et le Rassemblement national. Emmanuel Macron est sorti du silence ce mercredi 10 juillet, le jour même où il s’est envolé pour le sommet de l’Otan à Washington. Il s’est adressé aux Français par le biais d’une lettre publiée dans la presse quotidienne régionale. Libération vous la propose ici en intégralité.

Chères Françaises, chers Français,

Les 30 juin et 7 juillet derniers, vous vous êtes rendus aux urnes en nombre pour choisir vos députés. Je salue cette mobilisation, signe de la vitalité de notre République dont nous pouvons, me semble-t-il, tirer quelques conclusions.

D’abord, il existe dans le pays un besoin d’expression démocratique. Ensuite, si l’extrême droite est arrivée en tête au premier tour avec près de 11 millions de voix, vous avez clairement refusé qu’elle accède au Gouvernement. Enfin, personne ne l’a emporté. Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires. Divisées au premier tour, unies par les désistements réciproques au second, élues grâce aux voix des électeurs de leurs anciens adversaires, seules les forces républicaines représentent une majorité absolue. La nature de ces élections, marquées par une demande claire de changement et de partage du pouvoir, les oblige à bâtir un large rassemblement.

Président de la République, je suis à la fois protecteur de l’intérêt supérieur de la Nation et garant des institutions et du respect de votre choix.

C’est à ce titre que je demande à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’Etat de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays. Les idées et les programmes avant les postes et les personnalités : ce rassemblement devra se construire autour de quelques grands principes pour le pays, de valeurs républicaines claires et partagées, d’un projet pragmatique et lisible et prendre en compte les préoccupations que vous avez exprimées au moment des élections. Elle devra garantir la plus grande stabilité institutionnelle possible. Elle rassemblera des femmes et des hommes qui, dans la tradition de la Ve République, placent leur pays au-dessus de leur parti, la Nation au-dessus de leur ambition. Ce que les Français ont choisi par les urnes – le front républicain, les forces politiques doivent le concrétiser par leurs actes.

C’est à la lumière de ces principes que je déciderai de la nomination du Premier ministre. Cela suppose de laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir ces compromis avec sérénité et respect de chacun. D’ici là, le Gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilités puis sera en charge des affaires courantes comme le veut la tradition républicaine.

Plaçons notre espérance dans la capacité de nos responsables politiques à faire preuve de sens de la concorde et de l’apaisement dans votre intérêt et dans celui du pays. Notre pays doit pouvoir faire vivre, comme le font tant de nos voisins européens, cet esprit de dépassement que j’ai toujours appelé de mes vœux.

Votre vote impose à tous d’être à la hauteur du moment. De travailler ensemble.

Dimanche dernier, vous avez appelé à l’invention d’une nouvelle culture politique française. Pour vous, j’y veillerai. En votre nom, j’en serai le garant.

En confiance. Emmanuel Macron.

Macron «décidera de la nomination du Premier ministre» lorsque les partis auront «bâti» des «compromis»

Ainsi, si l’on synthétise, après avoir dressé un bilan des résultats des élections législatives anticipées et le fait que les Français aient «clairement refusé que [l’extrême droite] accède au Gouvernement», le locataire de l’Elysée martèle que «personne ne l’a emporté» lors de ce scrutin. «Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires», y écrit en particulier le président de la République.

Emmanuel Macron estime alors qu’il faut «laisser un peu de temps» aux différentes «forces politiques» qu’il estime comme «républicaines» dans le but de «bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays». Il fait notamment observer que les «Français ont choisi par les urnes le front républicain» et estime que «les forces politiques doivent le concrétiser par leurs actes». Aussi, le chef de l’Etat assure dans cette missive qu’il «décidera de la nomination du Premier ministre» lorsque les forces politiques auront «bâti» des «compromis». Et de préciser : «D’ici là, le gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilités puis sera en charge des affaires courantes comme le veut la tradition républicaine».

Cette prise de parole décisive intervient au moment où le camp présidentiel se démultiplie à l’Assemblée nationale pour dégager une majorité en mesure de gouverner. Les macronistes tentent ainsi de convaincre que le Nouveau Front populaire, arrivé pourtant en tête des législatives de dimanche avec 190 à 195 députés, et tout particulièrement La France insoumise, ne sont pas légitimes pour gouverner seuls. Dans un communiqué, les députés Renaissance ont ainsi plaidé pour «des alliances programmatiques» au sein d’une «coalition de projet allant des sociaux-démocrates à la droite de gouvernement», sans LFI. Mais plusieurs lignes se chevauchent dans les rangs macronistes sur la stratégie à adopter. Certains, menés notamment par Gérald Darmanin, lorgnent essentiellement la droite pour trouver des alliés. «Il peut y avoir un Premier ministre de droite, ça ne me gênerait en rien», a ainsi déclaré le ministre de l’Intérieur sur CNews et Europe 1.

«Pas à la hauteur de l’histoire», dans «le déni», «irresponsable»

Quelques minutes seulement après la publication de cette lettre, qui semble enterrer l’hypothèse de la nomination dans l’immédiat d’un Premier ministre représentant le Nouveau Front populaire, les réactions affluent à gauche. L’insoumise Clémence Guetté accuse notamment le président de la République de ne pas être «à la hauteur de l’Histoire». Emmanuel Macron «avait jeté la France dans les bras de l’extrême droite, nous l’avons évité. Maintenant, le Nouveau Front populaire doit gouverner. Le président doit accepter la démocratie», écrit, sur le réseau social X, la députée La France insoumise (LFI) du Val-de-Marne, dont le nom circule parmi ceux que le parti de gauche pourrait proposer diriger le gouvernement.

Des socialistes aux insoumis en passant par les communistes, tous dénoncent aussi le «déni» du président face aux résultats des élections législatives. Sur X, l’eurodéputée Manon Aubry parle d’un «coup de force démocratique» de la part du chef de l’Etat et déplore le fait qu’il ne nomme pas «la force arrivée en tête des élections» tout au long de sa lettre.

«Ça fait sept ans qu’on nous sert le en même temps à toutes les sauces. Mais on ne peut pas perdre et gagner en même temps. Il faut accepter le verdict des urnes du premier et du second tour de l’élection. Emmanuel Macron a décidé seul de cette dissolution. Qu’il tire maintenant les conséquences de son résultat», écrit de son côté Marine Tondelier sur le même réseau social. Et la secrétaire nationale des Ecologistes d’ajouter : «La logique institutionnelle lui dicte d’appeler les chefs de parti du #NouveauFrontPopulaire pour nous demander de lui proposer le nom d’un Premier ministre et un gouvernement».

De l’autre côté du spectre politique, Jordan Bardella qualifie sur X la lettre du président d’«irresponsable». «Emmanuel Macron organise la paralysie du pays en positionnant l’extrême gauche aux portes du pouvoir, après d’indignes arrangements. Et son message est désormais : débrouillez-vous», estime le président du parti d’extrême droite.

A rebours de ses critiques formulées à l’égard du chef de l’Etat, son allié Christian Estrosi, maire de Nice, a salué une lettre «raisonnable» de la part d’Emmanuel Macron. Sur X, le vice-président du parti Horizons d’Edouard Philippe salue notamment la volonté du président de la République «d’éviter au pays de sombrer dans la ruine avec le projet mortifère LFI» et assure que «les députés de l’arc républicain sont en capacité de débloquer la situation».

Mise à jour : à 18 h 52, avec les réactions politiques.