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Libération
Reportage

Dans un village du Puy-de-Dôme, «il n’y a que l’Union populaire qui est venue jusqu’ici»

Election Présidentielle 2022dossier
A Eglisolles, en Auvergne, la projection d’un documentaire sur la santé était organisé jeudi par les insoumis. Une façon, pour le parti de Jean-Luc Mélenchon, de convaincre des électeurs via les questions des déserts médicaux ou du coût des soins.
A Eglisolles, le 31 mars, lors de la projection de «Urgences. Soigne et tais-toi» de Mourad Laffitte, organisée par les militants de l'Union populaire de Jean-Luc Mélenchon. (Pascal Aimar/Tendance Floue pour Libération)
par Sonia Reyne et photos Pascal Aimar. Tendance Floue
publié le 2 avril 2022 à 11h16

La projection du documentaire Urgences. Soigne et tais-toi a déjà commencé dans la salle des fêtes d’Eglisolles (Puy-de-Dôme). Au fond de la pièce attenante, Maxime Fleurance, Jean-Stéphane et Jocelyne essuient les verres. La projection organisée par le collectif Ambert pour faire gagner la gauche sera suivie d’une discussion animée par des militants de La France insoumise, qui font campagne sous la bannière choisie par Jean-Luc Mélenchon pour cette campagne présidentielle, l’Union populaire.

La buvette accueille une poignée de retardataires. Parmi eux, un ancien électeur de Marine Le Pen : en 2017, il admet n’avoir pas su que «le programme de Mélenchon [lui] plairait».

Le maire de cette commune de 300 habitants, Jean-Luc Viallard, et une de ses adjointes s’accoudent au comptoir pour se joindre au petit groupe. Il y a cinq ans, 11% des votants seulement ont voté Mélenchon, contre 28% pour Marine Le Pen. «Dans le canton, traditionnellement, ça vote plutôt conservateur. Nous sommes à la campagne», dit le maire. Jean-Luc Viallard attribue la cinquantaine de voix d’extrême droite à «d’anciens communistes qui ne savaient plus vers qui se tourner». Au second tour des législatives c’est le patron du groupe communiste à l’Assemblée, André Chassaigne, qui est en tête avec plus de 70% des voix. «Même avant d’être député, il se battait pour nous», commente Christine, l’adjointe. Mais pour cette campagne, «il n’y a que l’Union populaire qui est venue jusqu’ici», reconnaît le maire.

Désertification sociale

Les préoccupations de son conseil municipal sont loin des programmes des candidats. Le maire et son adjointe évoquent l’eau, encore en régie communale mais dont la gestion, «à cause des lois», finira par être donnée à la communauté de communes. Jean-Philippe Viallard a siégé plus de vingt ans au conseil municipal avant d’être maire. «Les administrés attendent beaucoup de nous, même des choses sur lesquelles nous n’avons pas de pouvoir», dit-il Au milieu du village, trône une épave qu’il n’est pas en mesure de faire enlever : ça n’est pas dans les attributions du conseil municipal.

La conversation s’étire sur les services : à cause de la crise sanitaire, les restaurants alentour ont fermé ou ne proposent que des repas à emporter. «Pourtant, ceux qui travaillent dans le coin, principalement des ouvriers d’exploitation de la forêt, ont besoin de déjeuner tous les jours», rappelle le maire. Ce qui amplifie également le sentiment de désertification sociale. A l’automne dernier, les urgences de l’hôpital et le Smur d’Ambert, à trente minutes d’Eglisolles, ont fermé pendant trois semaines, faute de médecins. Impensable pour ce bassin de vie de 30 000 habitants, coincé, dans le Livradois-Forez, entre Saint-Etienne, Le Puy-en-Velay et Clermont-Ferrand.

«Ce n’est pas de la bobologie !»

Dans la salle des fêtes, les spectateurs restent attentifs au documentaire réalisé par Mourad Laffitte. Les témoignages de médecins, d’infirmiers, d’aides-soignants y racontent le mal-être et la souffrance du personnel hospitalier, la dégradation des conditions de travail, l’épuisement, les démissions en cascade. Lorsque la lumière se rallume, la conversation s’engage entre la trentaine de spectateurs présents : en 2006, c’était pour la maternité ; en 2013, pour la chirurgie. Une autre fois, c’était pour sauver la permanence de la sécurité sociale une demi-journée par semaine.

Les combats locaux font écho au documentaire. De jeunes parents regrettent le prix des soins dentaires pour leurs enfants, un papa s’indigne «des 19 euros qu’il faut payer aux urgences alors qu’ici, il n’y a pas de médecins». «Aller aux urgences, ça n’est pas de la bobologie, lorsqu’un enfant a une gastro ou une infection urinaire !» s’insurge-t-il. De jeunes retraités témoignent de la difficulté à faire soigner leurs vieux parents, du sentiment d’abandon de vieilles dames à qui l’on ne propose ni traitement palliatif ni accueil lorsqu’elles sont en fin de vie…

Dans la nuit épaisse, la neige continue de tomber à gros flocons, les militants remballent le matériel de projection pendant que le public se retrouve devant le long comptoir en formica pour partager un ramequin de chips et le verre de l’amitié. Ex-gilet jaune, Thierry Avelez sourit, comblé par le succès de la soirée. Droit dans ses Doc Martens à fleur, le jeune militant tracte depuis plusieurs semaines sur les marchés. Derrière le comptoir, Maxime Fleurance, militant du village, se dit qu’il a eu raison d’organiser la projection.

Pendant la soirée, les routes du Massif central sont devenues impraticables. Jean-Pierre Serezat, militant de la plaine et chef de file des insoumis dans la circonscription, dormira ce soir chez Maxime. A plus de 1000 mètres d’altitude, c’est plus sûr.