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La France sur le vif

Elections législatives : à Paris, «la France est un pays de fraternité, même si un discours nauséabond s’impose»

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Alors que se clôt ce dimanche une semaine de festivités à la Goutte-d’Or, quartier multiculturel du XVIIIe arrondissement, habitants et acteurs associatifs réaffirment leur solidarité et leur fraternité dans cet arrondissement qui a réélu la candidate LFI Danièle Obono au premier tour.
A la fête de quartier de la Goutte-d'Or, à Paris le 30 juin 2024. (Cédric Calandraud/Libération)
publié le 30 juin 2024 à 21h52
(mis à jour le 1er juillet 2024 à 0h12)

Il est 20 heures sur le parvis Saint-Bruno dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Les regards sont rivés vers les téléphones. Les mines se ferment. Une jeune femme se tient la tête, se demande comment les sondeurs peuvent déjà estimer les résultats du second tour. «Ils en savent quoi des reports ?» Karim Belmadami, 63 ans, regarde les scores, ceux de la gauche, ceux des macronistes. Lui aussi croit au barrage. «Il y a peut-être une chance avec Macron pour le second tour s’il est logique avec lui-même. Il a déjà été assez minable ces deux dernières semaines», espère encore ce bénévole à la fête de la Goutte-d’Or.

C’est la dernière soirée de la fête de ce quartier du nord de Paris, et de mémoire d’habitant, jamais celle-ci n’a eu lieu en même temps qu’une soirée électorale. Pendant le repas, entre le défilé des couturiers et des couturières et le concert cubain prévu à 20 heures, des interventions des représentants d’associations ont été ajoutées au programme. Ils sont près d’une vingtaine sur scène à rapeller à quel point ils tiennent et tiendront leurs «engagements à défendre sans retenue la démocratie, la solidarité, la fraternité et à continuer à lutter contre toutes les discriminations. Regardons notre histoire, la Goutte-d’Or a toujours été une terre d’accueil. Nous avons toujours su résister».

«Macron ne nous a pas aidés, c’est sûr»

VOTEZ s’affiche en grosses lettres rouges tracées au marqueur sur une grande banderole blanche accrochée à une grille du parvis au pied de l’Église Saint-Bernard. Dans ce haut lieu de lutte du mouvement des sans-papiers en 1996, au milieu des effluves de barbes à papa, Bernard Massera, 84 ans, est la mémoire de cette fête trentenaire. Ce retraité, électromécanicien et syndicaliste CFDT, qui a «sa biographie dans le Maitron», le dictionnaire du mouvement ouvrier, raconte : «On souffrait de la mauvaise réputation du quartier, au point que les taxis ne voulaient pas venir ici. On a voulu témoigner que ce quartier était un lieu où les gens vivaient bien. On a fait venir les tambours du Bronx, Amadou et Mariam, l’orchestre de Barbès, des spectacles de qualité qui pouvaient faire venir des gens tout en répondant aux besoins du quartier de faire la fête.» Pour cet électeur de gauche, la situation politique actuelle, le RN aux portes du pouvoir, ce sont «des choses qui viennent de très loin. Macron ne nous a pas aidés, c’est sûr, avec son problème d’écoute, le court-circuitage des associations et des syndicats. Mais la destruction des services publics, de la santé, de l’Education nationale, cela vient de beaucoup plus loin».

Même si les résultats locaux ne tomberont que plus tard dans la soirée – les bureaux ont fermé à 20 heures –, Bernard, comme les autres, ne redoute pas le score du quartier. Ici, dans la dix-septième circonscription de Paris, Danièle Obono (LFI) a été réélue dès le premier tour en 2022. Ils n’étaient que cinq dans ce cas en France. Dans le réfectoire de l’école élémentaire toute proche aux murs verts et blancs, où se déroule le dépouillement du bureau 55, les bulletins en faveur de la députée sortante s’empilent sur les six grandes tables. Les citoyens volontaires comptent et recomptent. Il est 21h30 quand ils entendent les mégaphones dans la rue. «Pas de fachos dans le quartier, pas de quartiers pour les fachos». «Le XVIIIe bouge toi, Bardella est presque là». Des manifestants arrivent. Certains ont enfilé des chasubles de la CGT, d’autres portent des banderoles, en soutien à la Palestine ou à «Paris 18e en lutte ». Ils s’arrêtent sur le parvis devant l’église Saint-Bernard. Un groupe continue de jouer de la musique cubaine. Les manifestants hésitent, puis repartent, direction la place de la République. Le dépouillement du bureau 55 se termine : la participation dépasse les 70% et Danièle Obono y a recueilli 74,12% des voix, soit 868 sur 1171.

Jacques Mendy a tracté pour le Nouveau Front populaire. Ce militant de gauche s’occupe des Enfants de la Goutte-d’Or, une association «créée en 1978 par les habitants, des bonnes sœurs, des laïcs, des musulmans». Pour lui, «la solidarité existe dans ce pays, la France est un pays de fraternité, même si un discours nauséabond s’impose». Wardine Ibouroi, 40 ans, s’occupe d’une autre association, Home Sweet Mômes : «On est un quartier d’une trentaine de nationalités. On a des problèmes sociaux et sociétaux, oui, mais jamais de problèmes par rapport à notre diversité. Ce soir, on montre au monde entier que le quartier, c’est la solution de la cohésion sociale.» Les musiciens jouent, les habitants dansent la salsa. «Il y a quelque chose de précieux ici qu’il ne faut pas détruire», conclut Jacques Mendy.

Cette fois encore, Danièle Obono, qui a été une cible de l’extrême droite, est élue dès le premier tour, avec 64 % des voix sur l’ensemble de la circonscription. Sept points de plus qu’il y a deux ans.

Mise à jour : à 0h12 avec le déroulé du reste de la soirée et les résultats.