Vous avez «un sentiment étrange de dépossession» ? On vous «parle une langue étrangère» ? Vous vous sentez «exilé de l’intérieur» ? Eric Zemmour est là pour vous.
Après des semaines de faux suspense alimentées par un intense battage médiatique, l’ancien chroniqueur de CNews a annoncé mardi qu’il était candidat à l’élection présidentielle de 2022. La déclaration s’est faite peu après midi sur YouTube, via une vidéo flippante décrivant la France dans un état dramatique. Un montage d’une dizaine de minutes bourré d’images piquées sur Internet, où l’auteur maurrassien, dans une mise en scène romantico-gaullienne pastichant l’appel du 18 juin, a lu un texte en regardant de temps en temps la caméra du coin de l’œil. Il y avait en fond la Septième Symphonie de Beethoven.
Son thème de campagne est simple : la France subit le «grand remplacement», cette théorie complotiste et identitaire racontant la substitution des églises par les minarets et les charentaises par les babouches. «Nous ne nous laisserons pas remplacer», dit Zemmour, pour qui «ce pays que vous chérissez est en train de disparaître», veut «retrouver le pays des chevaliers et des gentes dames, de Jeanne d’Arc, de Louis XIV et de Bonaparte, du général de Gaulle, etc., le pays des fables de La Fontaine, de Notre-Dame de Paris et des clochers dans les villages».
Surjouer la carte sympathie
«Vous me connaissez depuis des années. Je me suis souvent contenté du rôle de Cassandre ou du lanceur d’alerte, a-t-il avancé. Comme vous, je n’ai plus confiance, j’ai décidé de prendre notre destin en main. Aucun politicien n’aura le courage, tous ces prétendus compétents étaient en réalité des impuissants. C’est pourquoi j’ai décidé de me présenter à l’élection présidentielle. Pour que nos enfants et nos petits enfants ne connaissent pas la barbarie, que nos filles ne soient pas voilées, pour préserver nos modes de vie, pour que les Français restent des Français.» Il a conclu par cet étrange : «Vive la République et surtout, vive la France.»
Le polémiste d’extrême droite, condamné pour incitation à la haine, sera ce soir l’invité du 20 heures de TF1 et son audience beaucoup plus large, où, cette fois, il va surjouer la carte sympathie, pour tenter de faire oublier sa dernière séquence : lors d’un déplacement raté à Marseille ce week-end, il a adressé un doigt d’honneur à une habitante depuis le siège arrière de sa berline. Un geste qu’il a plus tard fini par regretter. Ses proches assurent que, sur TF1, Zemmour va se montrer «proche des Français, souriant et agréable. Il doit montrer l’homme qu’il est. Avec sa vie et son parcours». Hier soir, lors d’une réunion à son QG de campagne, dans le très chic VIIIe arrondissement de Paris, le polémiste, inexpérimenté en politique et entouré de novices, aurait, tout d’un coup, «réussi sa mue de présidentiable», selon un des participants.
Marine Le Pen relancée
L’annonce de sa candidature n’est en rien une surprise. Mais elle aurait pu avoir lieu plus tôt : elle devait être l’apothéose d’un premier trimestre de précampagne en forme de bulle sondagière. Au contraire : elle intervient à un moment de creux, quand Zemmour a un besoin de se relancer pour ne pas sombrer. Alors qu’il devait tuer le match avec sa concurrente à l’extrême droite Marine Le Pen, il l’a plutôt relancée. Cette dernière ayant depuis creusé l’écart avec lui, elle apparaît désormais, par contraste, moins «dangereuse» que lui. Zemmour n’est plus crédité que de 12 % d’intentions de vote au premier tour, après plusieurs semaines de faux plat en ayant enchaîné les gaffes et déplacements fiasco, qui ont fait douter jusque dans son propre camp sur ses capacités à aller plus loin. Il n’a, en outre, toujours pas réussi à engranger le moindre ralliement de cadre de droite qui lui donnerait une assise, alors que ses équipes peinent toujours à réunir les 500 signatures nécessaires pour valider sa candidature.
La date de son annonce n’est pas anodine : en se déclarant mardi, Zemmour a cherché à polluer le dernier débat des candidats à l’investiture de LR, qui commencera, dès son 20 heures terminé, sur la chaîne concurrente France 2. Ainsi, selon l’identité du vainqueur du congrès de la droite, l’ancien chroniqueur de CNews aimerait récupérer quelques miettes chez les adhérents et électeurs les plus conservateurs, notamment ceux qui ont voté pour François Fillon la fois précédente. Son premier meeting, dimanche au Zénith de Paris, maintenu pour l’instant malgré les menaces de manifestations antifas autour, doit se tenir alors qu’on connaîtra le candidat LR depuis la veille. Zemmour cherche là à priver la droite d’oxygène médiatique. Une vision pour le moins court-termiste.