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Européennes 2024 : que disent les programmes sur l’économie et le social de l’UE ?

Elections européennes 2024 dossier
Institutions, immigration, défense, écologie… A l’approche du scrutin du 9 juin, «Libé» a épluché les programmes des huit principales listes en lice. Dans cet épisode, focus sur l’économie et le social.
Lors d'une manifestation de travailleurs précaires à Toulouse, le 1er mai 2024. (Antoine Berlioz/Hans Lucas. AFP)
par Lisa Boudoussier, Frantz Durupt et Anne-Sophie Lechevallier
publié le 2 juin 2024 à 10h58

Les questions économiques et sociales restent un moyen sûr de comprendre pourquoi la gauche et la droite, ce n’est pas la même chose. Quand plusieurs partis de gauche proposent de taxer les grandes fortunes, LR refuse tout ISF européen et défend l’austérité en France, quitte à faire plonger le pays en récession. Quand LFI propose les salaires indexés sur l’inflation, la liste macroniste se montre bien peu loquace sur les questions sociales. Quant à l’extrême droite (RN et Reconquête), elle navigue entre inconsistance, indigence et incohérence. Quelques mesures tout de même surplombent les clivages politiques, comme la fin de la directive sur les «travailleurs détachés», ou la préférence européenne pour les marchés publics.

La France insoumise

Manon Aubry

Le programme de Manon Aubry en matière sociale se révèle assez garni. Forte d’un premier mandat au cours duquel a été adoptée une directive plus protectrice pour les travailleurs des plateformes, la tête de liste insoumise est à l’aise pour dérouler une série de propositions dans la plus pure tradition de la gauche de la gauche. Elle souhaite ainsi «bloquer l’ensemble des accords de libre-échange» actuellement en discussion ou en passe d’être signés, et abroger ceux en vigueur ; mettre fin aux règles budgétaires (pas plus de 3% du PIB en déficit…) qui «imposent l’austérité» ; établir une «taxe permanente sur les superprofits» qui concernerait tous les secteurs d’activité, et pas seulement l’énergie… Côté social, LFI transpose à l’échelle européenne ses propositions nationales : des salaires indexés sur l’inflation, un salaire minimum européen d’au moins 75% du salaire médian de chaque pays (1 600 euros net en France), le retour des CHSCT… S’y ajoute notamment la fin du statut de «travailleur détaché», accusé d’alimenter le dumping social.

Le Parti communiste

Léon Deffontaines

La tête de liste de la Gauche unie (qui regroupe notamment le PCF, la Gauche républicaine et socialiste et les Radicaux de gauche) partage avec son homologue de LFI plusieurs objectifs : mettre un terme à l’obsession des «équilibres budgétaires» et des «réformes structurelles», la fin des traités de libre-échange… Il s’agit aussi de «prendre le pouvoir sur le capital», en promouvant notamment le «Made in Europe», l’idée étant que les institutions de l’UE achètent prioritairement, et à hauteur de 30%, des produits, matériaux, dispositifs, logiciels et services fabriqués dans l’Union. Du côté des travailleurs, les communistes et leurs alliés proposent d’accorder «un droit de veto aux instances du personnel (les CSE), lorsqu’il s’agit de choix stratégiques impactant directement les salarié.es», mais aussi d’instaurer un salaire minimum dans chaque Etat membre qui serait, cette fois, calqué sur le mieux-disant européen (en l’espèce, avance son programme, l’Espagne et son salaire minimum à 60% du salaire moyen national).

Place publique - Parti socialiste

Raphaël Glucksmann

La liste parti socialiste et Place publique, emmenée par Raphaël Glucksmann, n’a pas lésiné sur les qualificatifs : elle défend une Europe «puissante», «écologique», «sociale», «féministe» et même «juste et intègre» qui se «donne les moyens budgétaires de son ambition». Un tel programme passe, entre autres, par une planification industrielle, par un investissement massif dans les renouvelables avec un objectif de 75% du bouquet énergétique en 2040, par «une extension de la taxe carbone aux frontières à tous les produits et services qui causent une concurrence déloyale en raison des fuites de carbone», par une tarification sociale de l’eau et de l’énergie ou un développement des «territoires zéro chômeurs de longue durée», déjà en expérimentation. Pour les financements, les deux partis comptent porter le budget européen à 5% du PIB (soit quatre fois plus qu’aujourd’hui), mutualiser davantage les dettes ou utiliser les recettes qui seraient générées par une taxe sur les millionnaires et multimilliardaires à hauteur de 2% ou par le relèvement de 15% à 25% du taux minimal d’impôt sur les sociétés pour les multinationales. Pour atteindre l’égalité salariale entre les hommes et les femmes (l’écart est encore de 13 % dans l’Union), le programme propose l’instauration de la clause de «l’Européenne la plus favorisée» : une proposition de législation qui rassemble les dispositions les plus favorables, dans chacun des pays, en vue de leur généralisation à l’ensemble des citoyennes de l’Union.

Les Ecologistes

Marie Toussaint

Au cœur du programme des Ecologistes, porté par l’eurodéputée sortante Marie Toussaint, tête de liste, une bifurcation écologique, mais aussi sociale. «Accélérer la transition, revivifier les territoires, créer des millions d’emplois et garantir notre souveraineté» irait de pair avec des investissements massifs (chiffrés à 260 milliards d’euros par an). Pour y parvenir, les écologistes défendent une union fiscale européenne, avec des ressources propres. La taxe carbone aux frontières serait étendue à tous les produits manufacturés et substances toxiques, un impôt sur la fortune climatique serait créé, tout comme une TVA verte avec de moindres taxes sur les produits européens décarbonés et bons pour la santé. Autre innovation, un fonds de souveraineté écologique, qui deviendrait majoritaire au capital des six entreprises pétro-gazières «les plus polluantes», dont TotalEnergies, afin d’atteindre l’objectif de 100% d’énergies renouvelables d’ici à 2040. Sur le plan social, un «droit de veto social» est mis en avant dans leur programme, un filtre qui conduirait à repousser tout nouveau texte européen qui serait nocif aux 10% les plus pauvres.

Renaissance

Valérie Hayer

On a vu plus bavard que le projet de la liste macroniste «Besoin d’Europe», qui unit Renaissance, le Modem, Horizons, l’UDI et le Parti radical, s’agissant des droits des travailleurs. Ces derniers devront se contenter de quelques mesures de «justice sociale et fiscale», avec des «critères sociaux pour l’accès aux fonds européens», censés «éliminer le dumping social», des financements complémentaires pour aider aux reconversions vers «les métiers de demain» et «une taxation minimale des plus grands patrimoines au sein du G20». La tête de liste, Valérie Hayer, veut aussi que les produits importés respectent «les mêmes règles que celles de nos entreprises et agriculteurs». Et elle défend un «plan Europe 2030» censé financer une «écologie à l’européenne» avec au moins 1 000 milliards d’euros d’investissements «pour faire face aux chocs écologique, technologique et sécuritaire». Celui-ci comprend entre autres un «compte personnel de formation européen pour se former partout en Europe».

Les Républicains

François-Xavier Bellamy

C’est un programme pour les élections européennes qui foisonne de mesures… franco-françaises. Le parti Les Républicains (LR), avec François-Xavier Bellamy comme tête de liste, recommande l’austérité à tous les étages, coupes dans le nombre de fonctionnaires, dans les dépenses sociales tout en baissant les cotisations sociales et ce qui reste des impôts de production. Ce redressement des comptes publics serait indispensable pour que le pays «retrouve sa place et sa crédibilité en Europe». Ce préalable posé, pas question de mutualiser les dettes, ni de créer un ISF européen. LR veut tout de même que l’Europe investisse, dans l’IA ou dans l’industrie, et rêve avec un livret d’épargne européen de flécher l’épargne des ménages vers la défense et l’écologie pendant cette mandature que le parti souhaite placer sous le signe «de la déréglementation et de la lutte contre le délire normatif européen.» Du grand classique de droite.

Rassemblement national

Jordan Bardella

S’il y a un sujet sur lequel le Rassemblement national (RN) n’a cessé de changer de position, ce sont bien les sujets économiques européens. Dans la version 2024, plus question officiellement de sortir de l’euro ni de l’UE, un revirement que Jordan Bardella n’est pas parvenu à justifier face au Premier ministre, Gabriel Attal, lors du débat sur France 2 le 23 mai. Ce qui n’empêche pas que certaines mesures institutionnelles que défend le parti d’extrême droite entrent tellement en contradiction avec les traités européens, qu’elles pourraient y conduire tout droit. Le RN compte couper les vivres au budget européen, en abaissant la contribution française (le programme ne dit rien du montant prévu) et assure, sans que l’on comprenne comment cela serait possible, que «les aides de la PAC resteront sanctuarisées». Le flou n’exonère pas de contradictions, comme celle relevée par la fondation Jean-Jaurès sur le «refus de tout impôt prélevé par l’UE» à la page 7 alors que deux pages avant, le parti veut «mettre en place une véritable taxe carbone aux frontières européennes, en taxant les produits finis et semi-finis». Sur le Pacte vert, considéré comme relevant de «l’écologie punitive», le détricotage continuerait avec l’abandon par exemple de «l’interdiction de la vente des voitures à moteur thermique en 2035». Et on allait oublier, le RN veut aussi abroger les directives CSRD (qui obligent les entreprises à se pencher sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance) et devoir de vigilance. Cette dernière vise à encadrer le respect des droits humains et environnementaux par les grandes entreprises.

Reconquête

Marion Maréchal

Reprenant une célèbre formule de Margaret Thatcher, le programme de Reconquête, porté par Marion Maréchal, annonce la couleur : «We want our money back» («On veut récupérer notre argent»), lit-on au-dessus de plusieurs mesures, dont une division par deux de l’enveloppe allouée au Fonds social européen, censées permettre à la France de se «libérer du centralisme bruxellois». Le parti d’Eric Zemmour veut en revanche investir 500 milliards d’euros dans la filière électronucléaire. On retrouve par ailleurs d’autres mesures déjà vues chez les autres, comme la fin de la directive sur les travailleurs détachés ou un «Buy European Act». En dehors de cela, c’est en vain que l’on cherchera, au milieu des élucubrations sur la «propagande woke», la moindre idée pour améliorer le sort des salariés.