Les vidéos sont-elles traduites en langue des signes française ? Ont-elles des sous-titres ? Les couleurs sont-elles suffisamment contrastées ? Pour les internautes ayant une déficience visuelle, auditive, motrice ou encore cognitive, la navigation sur Internet est semée d’embûches. Et les sites des candidats à la présidentielle n’y font pas exception. Olivier Keul a étudié leur accessibilité pour le cabinet de conseil Temesis, membre de l’Institut du numérique responsable (INR). Il a livré ses conclusions dans une étude parue vendredi dernier, parmi lesquelles figurent deux constats. D’abord, pour la plupart des partis, les résultats de cette année sont moins bons que ceux obtenus lors des élections de 2017 et 2012. Ensuite, même le site classé comme le plus accessible – celui de Philippe Poutou (NPA) – obtient un score inférieur à la moyenne. Auprès de Libération, l’expert dénonce des manquements qui deviennent sources de discrimination.
A partir de quel moment considère-t-on qu’un site est accessible ?
Il n’y a pas de site parfaitement accessible. On parle plutôt de site conforme à des référentiels. En France, il existe le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA). Il comprend 106 critères d’accessibilité qui nous permettent ensuite d’établir un taux de conformité. Pour notre étude, on en a sélectionné une vingtaine à vérifier, en privilégiant ceux ayant un fort impact utilisateur. On avait procédé de la même manière pour l’élection présidentielle de 2017 ainsi que pour celle de 2012.
A lire aussi
Quels critères avez-vous retenus pour votre étude ?
Dans les critères sélectionnés, on a conservé les ratios de contraste. C’est-à-dire le fait que la couleur du texte et la couleur de fond du site soient suffisamment contrastées pour les personnes ayant une déficience visuelle. On a aussi vérifié la présence de sous-titres pour les personnes sourdes ou malentendantes. On a également regardé s’il y avait de la langue des signes française pour les vidéos. Pour les personnes ayant une déficience motrice, on a vérifié que la navigation clavier – c’est-à-dire sans utiliser la souris – était possible.
Globalement, que pensez-vous des résultats ?
Ce n’est absolument pas satisfaisant. Le candidat qui a la meilleure note, Philippe Poutou, est seulement à 4,8 /10. Nous avons mené notre étude avec une sélection de critères, et sur seulement deux pages de chacun des sites, celles de l’accueil et du programme, qui sont tout de même parmi les plus importantes. Rien qu’avec cette démarche, on est très loin d’avoir un résultat convenable. On parle tout de même de sites de candidats à la présidentiellecensés permettre aux gens d’en apprendre plus sur chacun d’eux, sur leurs programmes, et de se forger un avis. Le fait de ne pas donner accès à cette information aux personnes handicapées, c’est de la discrimination.
Comment se fait-il que la plupart des scores sont moins bons que ceux des élections de 2017 et 2012 ?
Plusieurs éléments de réponse sont envisageables : le fait d’avoir changé de prestataires pour faire le site depuis la dernière élection, le manque d’information… L’hypothèse pour laquelle on penche, c’est qu’il n’y a pas forcément eu, dès la conception du site, une demande pour le rendre plus accessible, ni même une maîtrise du sujet. Le sujet n’a pas été priorisé. Penser l’accessibilité d’un site, c’est comme pour celle d’une maison. On n’attend pas que la maison soit sortie de terre pour dire «revoyons la largeur des portes pour faire passer les fauteuils roulants». On peut le faire mais ça va coûter plus d’argent. Sur le web, c’est pareil. Penser l’accessibilité, ça doit être fait le plus en amont possible.
Ce que l’on relève dans vos résultats, c’est aussi que l’orientation politique des candidats, qu’ils soient de droite ou de gauche, n’a pas l’air de changer la donne.
Je n’en ai pas l’impression non plus. De même pour le budget : les candidats avec les plus gros budgets ne sont pas forcément ceux ayant les sites les plus accessibles. Cela relève surtout d’une question de volonté. De ce point de vue, les candidats sont à peu près tous égaux. Mais pas dans le bon sens.
Avez-vous tout de même relevé de «bonnes» techniques d’accessibilité mises en place ?
Sur le site d’Anne Hidalgo (PS), il y avait une vidéo - une seule - qui était en langue des signes française. Quelques sites avaient des sous-titres pertinents, c’est-à-dire non automatisés, comme celui de Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière), Anne Hidalgo, Philippe Poutou, Eric Zemmour (Reconquête !)… On trouve une page «accessibilité» chez seulement deux candidats : Emmanuel Macron (LREM) et Anne Hidalgo. Une telle page peut contenir une déclaration de conformité ou donner les consignes à suivre pour avoir certaines informations, comme une adresse mail ou un numéro de téléphone à contacter. Le problème étant que, sur le site d’Emmanuel Macron, cette page est très peu détaillée. Avec ça, on ne peut rien faire.
Quels sont les critères les plus délaissés en général ?
Plusieurs ne sont jamais respectés, comme la navigation clavier, les ratios de contraste… Les documents PDF du site, présentant souvent les programmes des candidats, ou des formulaires d’adhésion à leurs partis, sont très difficiles à lire pour les personnes utilisant un lecteur d’écran, car ils sont mal structurés.
A lire aussi
Quels conseils donneriez-vous pour améliorer ces résultats ?
Le contexte est particulier puisque les sites sont éphémères et qu’il y a une échéance. Les candidats n’auront pas le temps de rendre leur site conforme au RGAA. Mais il faut profiter des jours restants pour traiter les critères les plus importants pour les utilisateurs. Dans le futur, il serait plus que souhaitable d’avoir une évolution de la loi imposant l’accessibilité numérique aux sites des candidats à l’élection présidentielle, comme c’est le cas pour les documents de propagande électorale.
L’enjeu de l’accessibilité dans cette campagne se retrouve-t-il dans d’autres domaines que celui du web ?
En effet. Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a mis en place un observatoire sur l’accessibilité des campagnes de l’élection présidentielle 2022. Il se concentre aussi bien sur le web que sur les allocutions télévisuelles, les tracts… On voit, par exemple, que la plupart des prises de paroles d’Emmanuel Macron à la télé sont désormais interprétées en langue des signes française. C’est une avancée très récente. Pourtant, l’enjeu est essentiel puisque sans accessibilité, on rend des personnes moins citoyennes que d’autres, tout cela en raison de leur handicap. Sur la même approche, nous avons également audité les sites des candidats sous l’angle du Règlement général sur la protection des données (RGPD) et de l’écoconception. Le classement n’est pas le même mais les résultats sont tout aussi décevants. Sur ces deux domaines aussi, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.