Un temps «tortue sagace», Jean-Luc Mélenchon espère se faufiler dimanche «dans le trou de souris» qui lui permettrait d’accéder au second tour de la présidentielle. Dans ce bestiaire imagé, son principal problème risque d’être la mémoire d’éléphant de certains électeurs de gauche : ils sont en effet autour de 15% toujours décidés, selon les derniers sondages, à voter pour un autre candidat de gauche, moins clivant. Le député des Bouches-du-Rhône, connu pour son caractère éruptif, a pourtant su mâtiner sa fin de campagne d’une certaine bonhomie, celle d’un vieux briscard qui sait qu’il mène là son dernier combat. Son expérience lui a aussi permis de mener une bonne campagne, mélange de grands meetings où ses talents intacts d’orateur lui permettent de galvaniser les foules, et de militantisme numérique efficace.
Sur le fond, son camp a indéniablement travaillé. Seulement voilà, s’adresser à la frange réformiste de l’électorat de gauche relève pour lui du salto arrière : depuis son départ du PS en 2008, sa radicalité et sa dénonciation de la culture du compromis de la social-démocratie ont fait son succès. Pas facile après de transformer sa candidature en arche de Noé de toute la gauche. Il estime dans l’entretien qu’il nous a donné que «l’ancienne gauche» a passé son temps à «l’injurier». Comme si l’inverse n’était pas vrai… La doxa mélenchoniste sur les questions internationales, et plus précisément son non-alignement, est pour une frange de cet électorat un repoussoir face aux horreurs guerrières de Vladimir Poutine. Même si Mélenchon a condamné fermement l’invasion de l’Ukraine. Tourner le dos au choix du peuple ukrainien de regarder vers l’Europe plutôt que vers Moscou le met aussi en porte-à-faux.
Si le candidat insoumis doit convaincre les électeurs de gauche toujours indécis que sa radicalité est une solution aux problèmes du pays, il lui faut mobiliser aussi les milieux populaires tentés par l’abstention ou le vote d’extrême droite. Ces deux objectifs l’obligent à la fois à agiter le danger Marine Le Pen sous le nez des premiers tout en évitant le choc frontal avec elle pour ne pas braquer les seconds. Bien qu’il récuse la formule, Mélenchon appelle grosso modo au vote utile. Bon nombre des électeurs se souviennent qu’en d’autres temps, il aimait rappeler qu’au premier tour on choisit, au deuxième on élimine. Mais qui choisir donc ? Car même un éléphant peut avoir envie de tout changer dans ce duel annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Les autres candidats de gauche peuvent-ils y prétendre ? Anne Hidalgo a pâti de l’absence de travail idéologique au PS. Yannick Jadot, qui a mené une campagne sérieuse, comparée à la tradition écolo, n’a pas su capitaliser sur les enjeux environnementaux. De leur fait, parfois à leur corps défendant, les deux se sont abîmés dans l’interminable feuilleton des divisions de la gauche, pas aidés par l’apparition fantôme de Christiane Taubira. Si Jean-Luc Mélenchon fait la course en tête, la gauche sociale-écolo-réformiste doit d’abord s’en prendre à elle-même.