Le moment décisif est passé. Comme de nombreux indécis, Stéphanie, une habitante d’Avion (Pas-de-Calais), considérait le débat télévisé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen comme le moment déterminant pour choisir. Trancher entre une certaine responsabilité à faire barrage à l’extrême droite et la tentation du vote blanc. Sauf qu’au fil de l’échange entre les deux finalistes du scrutin présidentiel, la militante communiste de 46 ans, qui a voté Fabien Roussel au premier tour, envisage de plus en plus de s’abstenir.
Dans le salon familial, ce duel s’est observé surtout en silence. Melvin, 19 ans, s’est enfoncé dans le canapé. Stéphanie et son compagnon, Charlie, 47 ans, se sont assis au bout de la grande table de la salle à manger, pile en face de la télé. Du premier round consacré au pouvoir d’achat, Stéphanie retient, amère, deux pions avancés par Macron : l’augmentation de 34 euros du smic et la baisse de 18 centimes du prix des carburants jusqu’en juillet. Il lui en faudrait un peu plus pour oublier «ses cinq dernières années de galères», fait comprendre la mère de famille, dont les dernières courses lui ont coûté 30 euros de plus que d’habitude, avec le même chariot.
«Avec l’un comme avec l’autre, ce sera la merde»
Sur les retraites, difficile de suivre les explications des candidats, plus techniques et brouillonnes les unes que les autres. «Elle dit que ceux qui ont travaillé entre dix-sept ans et vingt ans pourront partir à 62 ans ? reformule Stéphanie après une intervention de Le Pen. Mais sachant qu’il n’y en a pas beaucoup qui travaillent à cet âge-là, ça décale, donc ça reviendra au même qu’avec Macron… Tout ça pour toucher 800 euros !» Le président sortant précise le montant minimum de la retraite dans sa future réforme : 1 100 euros. «Pour une carrière complète ? Ce n’est pas beaucoup», relève Stéphanie, consciente que Le Pen propose moins. Elle se tourne vers Charlie, son compagnon : «Il n’a pas dit si c’est net ou brut ?» Non, il ne l’a pas dit, et le flou reste comme suspendu quelque part en l’air.
Pour Charlie, quoi que les deux finalistes du scrutin disent, «un mec de gauche ne peut pas voter Le Pen». Lui votera Macron sans hésiter. Pendant ce temps, à la télé, les candidats s’attaquent à propos du financement de l’hôpital public. Sur l’écran du téléphone de Stéphanie, un SMS de sa cousine, aide-soignante fâchée du quinquennat Macron apparaît : «Tu vas aller voter le 24 ?» Il est 22h20. A ce moment-là, c’est toujours blanc ou Macron pour Stéphanie.
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Melvin, lui, reste silencieux. En quelques transitions, les questions environnementales arrivent aussi vite qu’elles repartent. «Avec l’un comme avec l’autre, ce sera la merde», commente, dépité, le fils cadet. La décision de Le Pen de n’investir que dans le nucléaire et de démanteler l’ensemble du parc éolien l’inquiète, mais la volonté d’équilibre entre nucléaire et énergies renouvelables défendue par le président candidat ne le rassure pas plus. «J’ai l’impression que ce sera soit trop long comme transition, soit qu’on va reculer…» Bilan : la passe d’armes sur les enjeux environnementaux, sujet central pour le jeune homme, lui donne «encore moins envie d’aller voter» qu’avant le débat. L’abstention redevient la première option : il ne veut pas «faire un choix pour le moins pire». Stéphanie soupire, elle aussi toujours plus perplexe : «On verra dimanche !»