Où sont les gens ? Eh bien en plein Festival d’Avignon, où d’habitude vers 20 heures, on ne peut pas faire un pas place Pie, pas dans la rue, pas au café. Et ceux qui sont au café dînent. On est prié de ne pas les déranger. Des élections, mais lesquelles ? De quoi parle-t-on ? Tiens, trois jeunes gens qu’on surprend en train de dire : «Ils vont gagner.» On se précipite. Mais qui ? «Ben les Anglais.» Ils parlent de foot. Les trois jeunes gens, franco-marocains, se révèlent en réalité très concernés par le scrutin du jour. Deux d’entre eux – ils tiennent à l’anonymat absolu – se sont déplacés pour voter pour le Nouveau Front populaire, le troisième tient le discours du «tous pourris, tous traîtres, ils font des promesses et ils les oublient». Les deux le houspillent : «Tu verras quand ça sera Bardella Premier ministre ! Ils n’ont pas dit qu’ils nous retireraient la nationalité ?» Le troisième, celui qui n’a pas voté, tient à nous montrer sa carte d’identité. Ils grondent le barman qui «n’a pas eu le temps de voter». Plus loin, un autre trio, qui tient le mur, discute, Ray-Ban, verres miroirs et baskets dernier cri, et nous regarde de haut : «Comment je fais pour avoir la carte d’électeur ? Faut faire un dossier à la mairie ?» demande l’un d’eux.
Dans les rues, beaucoup ne veulent partager ni leur joie ni leur effroi. Ici, encore un couple qui n’a pas voté. Carole est pourtant professeure des écoles. Elle est venue avec son compagnon, Stéphane, pour le festival, tous deux 53 ans, originaires de la Ciotat. On ne dissimule pas notre surprise. «C’est vrai, là, je m’en veux un peu. J’espère qu’on ne va pas basculer dans les extrêmes. Ce n’est pas bien de ma part car moi-même, j’interpelle les élèves», répond Carole, confrontée aux premières estimations. Elle croit ne pas être inscrite sur les listes électorales, du fait d’un déménagement. Son compagnon lui «a l’étrange impression que le vote est un os jeté au peuple et après, “ils” font ce qu’ils veulent. Ils s’allient, ils ne s’allient pas. Ils se marient, ils se démarient».