Un véritable casse-tête. Au lendemain de l’annonce par le président Emmanuel Macron, dimanche 9 juin, de la dissolution de l’Assemblée nationale, deux dates s’imposent dans le calendrier : les 30 juin et 7 juillet, soit le premier et second tour de législatives anticipées. Un délai court, qui impose une campagne éclair, et qui pose question. D’une part, le code électoral prévoit que les déclarations de candidatures «doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin», ce qui repousserait la date du premier tour au 7 juillet, une semaine plus tard que prévu actuellement. D’autre part, la Constitution prévoit un délai de vingt à quarante pour organiser les élections lorsque la dissolution est prononcée, auquel cas la décision du gouvernement serait conforme.
Alors, dans les clous ou pas, ces élections législatives ? Pour démêler cet imbroglio, Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public, titulaire de la chaire d’études parlementaires de l’université de Lille et spécialiste de la Constitution, revient auprès de Libération sur ces textes de droit. Il explique notamment que la loi fondamentale «écrase» le code électoral.
Que prévoient la Constitution et le code électoral concernant la tenue d’élections législatives anticipées ?
L’article 12 de la Constitution prévoit un délai de vingt à quarante jours pour organiser les élections lorsqu’une dissolution est prononcée. Une durée qui est donc respectée par Emmanuel Macron, puisqu’il y a vingt et un jours entre son annonce et le premier tour des élections législatives anticipées. L’article L157 du code électoral prévoit cependant que les déclarations de candidature doivent être déposées au plus tard le quatrième vendredi qui précède le premier tour. Autrement dit, avec un premier tour qui se tient le 30 juin, les dates limites de dépôt des candidatures étaient le 7 juin, soit deux jours avant que les élections législatives aient été annoncées. Impossible, donc, à respecter.
Dans ce cas de figure, la Constitution prime. L’article 12 de la Constitution écrase l’article L157 du code électoral. Un recours pourrait être déposé, mais il n’aurait que très peu de chances d’aboutir, puisque la Constitution est respectée. Nous sommes dans les clous.
Aurait-il été possible d’organiser ces élections à une autre date ?
Il y a un élément de calendrier qui est le 14 juillet. Rien n’interdit formellement que des élections se tiennent à cette date, mais il est difficile de les organiser un jour de fête nationale, alors qu’il y a des cérémonies et des défilés. Pour éviter le 14 juillet, il fallait organiser ces élections soit avant, soit après. Sauf qu’après n’est pas possible, puisque la date aurait été au-delà du délai de vingt à quarante jours prévu par la Constitution. Cette date a donc du sens, même s’il est également possible que cet élément de calendrier arrange le président de la République, notamment parce que les oppositions risquent de peiner à s’organiser dans un temps si court.
Rien n’interdisait au président de la République de n’annoncer la dissolution qu’en septembre, pour déplacer les élections législatives anticipées à la rentrée. Mais il aurait été politiquement surprenant de renvoyer ainsi une décision politique qui s’impose ou doit être prise au soir ou au lendemain d’élections, pour en prendre la mesure.
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D’autres leviers que la dissolution de l’Assemblée nationale étaient-ils envisageables ?
Quand j’ai appris que le Président allait s’exprimer le soir même des élections européennes, j’ai immédiatement pensé à la dissolution. Il fallait, vu les résultats des élections européennes, une réponse institutionnelle. L’extrême droite n’a jamais été aussi forte, avec 31,37 % [pour le Rassemblement national], et la majorité présidentielle est quant à elle bien plus faible, avec une différence de plus du double avec le RN, puisque la liste Renaissance est à 14,60 %.
Le président de la République a grillé inutilement, je pense, une cartouche en janvier en limogeant Elisabeth Borne, à mon sens sans raison. Il était donc impossible de refaire la même chose quelques mois plus tard, il fallait une autre option. A partir du moment où la démission d’Emmanuel Macron lui-même n’est pas sur la table, la seule possibilité était la dissolution de l’Assemblée nationale. D’autant plus qu’on sait que les députés sont actuellement difficilement pilotables par le parti du président. Il n’est pas impossible que ce scénario soit dans la tête du chef de l’Etat et de ses proches conseillers depuis un moment, peut-être même dès le mois de janvier, au moment du limogeage d’Elisabeth Borne.
Comment interpréter cette décision d’Emmanuel Macron, qui a choqué la plupart des politiques et l’opinion ?
Nous sommes dans une situation inédite et risquée pour le Président. Il est loin d’être assuré de remporter une majorité. Est-ce que la situation peut être pire que celle qu’il connaît actuellement ? Oui, s’il perd les élections et qu’il se retrouve dans un contexte de cohabitation. Mais ceci dit, que préfère-t-il ? Donner les clés de l’Elysée à Marine Le Pen en 2027, ou donner les clés de Matignon sous son contrôle dès 2024 ? Je pense qu’il s’est posé la question. Si le Rassemblement national l’emporte à la prochaine présidentielle, ils seront seuls au pouvoir. S’ils l’emportent aux législatives, le président reste Emmanuel Macron.